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Dans son article admirable à propos de l’esprit du monachisme médiéval publié dans les colonnes du Rouge & le Noir, Boniface concluait son propos en soutenant l’urgence et l’actualité de cet engagement spirituel.
Nous nous proposons d’apporter quelques pistes à l’élaboration de ce resurgissement. Il s’agit de faire reposer notre propos sur les jalons du monachisme dans le but de ré-incarner sa radicalité chrétienne au cœur du monde, dans l’épicentre des mégalopoles anonymes qui rôtissent sous le soleil de Satan. Cet ensemble d’hypothèses à propos de la juste manière d’être au monde aujourd’hui, nous la nommons surnaturalisme brutal. Elle est à penser comme l’hypothèse d’un cheminement esthétique, spirituel et politique pour notre temps qui vise à répondre au besoin, que nous décrivions dans un article il y a déjà quelques mois, la nécessité d’une « métempsychose » de l’héroïsme chrétien, contre le surhomme et par le martyr.
Qu’entendrait-on par « surnaturalisme brutal » ? Il convient d’abord de préciser le premier terme. L’enjeu du surnaturalisme tel qu’il est conçu ici est d’incarner toujours et partout l’existence de la surnature. Il s’agit d’ordonner sa vie de telle manière qu’aucun interlocuteur ne puisse faire abstraction de la foi qu’on porte, et pour laquelle on combat.
Il convient, selon nous, d’afficher de la façon la plus ostentatoire et la plus éclatante possible cette conviction de la misère de l’homme sans Dieu et du fait que, hors de Lui, tout est vanité. Le contemptus mundi qu’évoque Boniface devrait transpirer de tous les gestes de nos vies et éclabousser le monde.
Ce premier principe peut sembler navrant de banalité. Néanmoins, il suffit d’imaginer une seule seconde la réaction de l’entourage professionnel de celui qui vit véritablement tel que nous le suggérons. Il sera banni dans le mois de tous les milieux compromis qu’il côtoyait jadis, et pour cause ! La Vérité provoque invariablement des martyrs ; dans les endroits du monde où il n’y a pas de martyrs, on ne dit pas la Vérité.
L’enjeu de ce surnaturalisme brutal serait une stratégie du choc strictement contraire à tout ce que produisent la grande majorité les institutions catholiques européennes depuis de trop nombreuses décades.
Les partisans du compromis, de l’arrangement diront évidemment que « ce n’est pas audible », que tout ceci semble « régressif », « extrême », oubliant un peu trop vite que notre Christ n’a pas véritablement bénéficié de ce que l’on pourrait qualifier de « mort pondérée ».
Prétendre être le fils de Dieu à la barbe des juifs ne nous semble pas avoir été une position publique particulièrement « audible » non plus. Pourtant, c’est ce que le Christ fit. Il imposa ainsi à ceux qui L’aiment la chose suivante : « ce qui vous est dit à l’oreille, criez-le sur les toits » (Mt, X, XXVII) . Le Christ était « extrême », et il était un « agitateur », n’en déplaise aux légalistes.
Cette façon d’envisager le catholicisme intégral motiva chez nous l’ajout du qualificatif « brutal ». Le refus total de la compromission avec le monde, et ce quoi qu’il advienne, revient à l’établissement d’une stratégie du choc.
Ce terme possède néanmoins deux dimensions, la dernière renvoyant à ce qui est appelé « brutalisme esthétique ».
Ce courant architectural mortifère qui a mutilé le paysage français est celui qu’ont porté les faux-monnayeurs du Beau tels que Le Corbusier. Ils ont ravagé la France à grands coups de bétonneuses, et lui ont greffé d’immenses murailles pour loger la matière humaine du complexe industriel qui s’est nourri de l’immigration massive, de la standardisation totale et du système démographique concentrationnaire que représente la grande ville.
L’excrémentielle laideur anonyme, déracinée et monumentale qui dégouline des bâtiments publics construits dans la deuxième moitié du XXe siècle vient de ce courant bâtit par de de pitoyables enflures qui réussirent tout de même à donner des prétextes humanistes et révolutionnaires, voire socialistes, à ce fleuve inarrêtable de béton armé, qui ne constituait ni plus ni moins que l’adaptation du marché immobilier à la récente mutation du capitalisme, et qui nécessitait la conquête de la pierre afin d’aliéner totalement le mode de vie de son carburant, l’être humain.
Et nous voici aujourd’hui, environnés de ces monstres froids auxquels ont parfois succédé quelques actualisations récentes telles que les immondes tours de la Défense, d’imbuvables monolithes de verre fumé qui ne sont que l’actualisation de cette esthétique totalitaire nommée brutalisme.
L’esprit brutaliste infeste l’espace parce qu’il n’est que la transcription architecturale de la post-modernité hégémonique. L’époque qui est la nôtre empeste la détresse parce que tous les prétextes grandiloquents et les fictions modernes dont nos prédécesseurs ont pu se servir pour masquer le ridicule cuisant de l’anémie occidentale ne tiennent plus.
Donc, nous voici dans le désert, dans un val sans fleurs que même les fantômes et les mirages tentent consciencieusement d’éviter. Le surnaturalisme dont il est question doit assumer le fait qu’il se bâtit sur les cendres d’un monde. Il est donc brutal comme l’anti-modernisme était moderne ; c’est-à-dire qu’il contrevient dans l’idée au fait qu’il a subi. Le surnaturalisme brutal est un hurlement dans le désert, et personne ne doit avoir l’orgueil de lui imaginer une envergure plus ambitieuse.
Dans le premier article qu’il nous fut donné de publier dans le Rouge & le Noir, et que nous intitulâmes Théologie de l’Artilleur, nous rappelions que la stratégie de la conciliation a ruiné l’Église et dégarni les rangs du peuple de Dieu, et nous tentions de démontrer que toutes les oppositions au monde qui remportaient le plébiscite étaient précisément fondée sur l’idée du choc frontal, intransigeant, intégral, voire intégriste.
Elle est là, la vraie raison de l’expansion de l’islam en France. Si l’Église française possédait encore une once de virilité résiduelle, on pourrait faire des populations immigrées des soldats de Dieu, ce qui aurait à la fois permis de combattre le monde et de soigner le drame existentiel que constitue l’immigration de masse grâce au ré-enracinement. D’un point-de-vue global, et sans négliger pour autant les héroïsmes ponctuels de nombreux clercs et fidèles, l’Institution est amorphe.
Si l’islam radical – et l’islam tout court, par ailleurs – fonctionne aussi bien, c’est parce qu’il est bien plus efficacement conçu pour lutter un tant soit peu contre le monde que les niaiseries abstraites dont on gave les catholiques français.
Les catholiques identitaires préfèreront sans doute arguer qu’une bande de mendiants en transhumance est sur le point de détruire une civilisation vieille de deux-mille ans, comme si le fait qu’elle puisse péricliter simplement à cause de ces derniers ne venait pas d’abord du fait que ladite civilisation ne peut plus se regarder en face depuis longtemps. Elle n’a besoin d’aucune espèce d’ennemi juré pour pourrir tranquillement sans embêter le voisinage.
Comprendre véritablement pourquoi un appareil vaguement séditieux arrive à faire d’un anonyme fils de bédouin reconverti dans la vente d’opiacés au détail un digne mercenaire du califat islamique, voilà une chose à laquelle il serait peut-être temps de s’atteler. Ceci nous permettrait peut-être d’intégrer le fait que cette stratégie du choc, de l’intégrité non-négociable que représente d’ailleurs très bien – dans une toute autre mesure – le port de la soutane chez nos lévites, cette façon d’être au monde est non seulement la seule valable et bonne, mais elle est aussi la seule qui porte des fruits.
On dit beaucoup de choses, et probablement trop à propos de l’islam. Beaucoup de gens s’échinent à vouloir prouver au monde entier que le livre mahométan est intrinsèquement néfaste et guerrier, alors même que l’adoption du christianisme implique que toute doctrine qui s’affranchit de la foi en Jésus-Christ est fausse et dangereuse pour le salut des âmes, particulièrement les deux monothéismes unijambistes qui prétendent lui assurer une quelconque concurrence.
La réalité de l’islam, c’est une confession à laquelle on peut tout faire dire, puisque son livre dit tout et son contraire et qu’elle n’a pas d’Église monocéphale. Par conséquent, elle est aussi neutre en elle-même que neutralisable dans son principe. Les seules choses qui définissent en fait la foi mahométane relèvent de la conjoncture.
La raison pour laquelle l’islam politique a surgit depuis quelques années est qu’il a succédé efficacement au panarabisme athée, ce dernier ayant échoué pour sa part à unir le monde arabo-musulman contre l’atlantisme banquier, dont Israël fut le principal émissaire. Le panarabisme était le rêve de Nasser, et c’est la raison pour laquelle les Frères Musulmans sont, encore aujourd’hui, bannis d’Égypte : l’islamisme d’Erdogan succède au militantisme anti-islamique de Mustapha Kemal parce qu’il a échoué à fédérer une puissance moyen-orientale. L’islam « parle » à ceux à qui il s’adresse parce qu’il offre, quel que soit son obédience de chapelle et sa radicalité, un moyen concret et violent d’avoir ne serait-ce que l’impression de vivre à rebours du monde moderne. Il faut comprendre que le véritable enjeu géopolitique de l’essor mondial de l’islam, c’est la lutte contre l’Occident envisagé, à tort ou à raison – peu importe ici – comme colon, comme ingérant et cupide. La radicalisation des écoles théologiques musulmanes tient donc purement et simplement de la conjoncture.
Même lorsqu’il ne s’agit pas d’avoir du sang sur les mains, l’islam offre une façon d’être au monde ô combien plus incarnée, courageuse et intégrale que ce que la chrétienté occidentale montre, en général, d’elle-même. Ces qualités indéniables font que n’importe quel déraciné, n’importe quel moins que rien peut trouver dans l’islam une voie de révolte agressive contre le monde.
Boniface sera d’accord avec nous pour affirmer que oui, il est bien normal qu’un français qui refuse l’aliénation ambiante et dont l’âme écorchée suffoque confesse un jour la foi mahométane, parce qu’elle est l’option la plus gratifiante et la manière la plus efficace de se battre.
Ce n’est pas en lui faisant subir un simulacre qui confine à l’hérésie par sa libéralité conciliaire, ânonné par un prêtraillon qui s’évertue à chercher la tolérance dans un évangile intolérant, expédié en quelques mots devant une assistance sexagénaire qui considère que le dépeuplement des églises est le signe le plus positif de l’accroissement de la liberté de culte, toute la morbide cérémonie se voyant couronnée par l’intervention providentielle d’une chorale qui chante (faux) de naïves complaintes alambiquées, infantilisantes et aseptisées de toute espèce de souffle divin, ce n’est pas en lui faisant subir ce véritable supplice que l’on parviendra à en faire une brebis de Dieu.
De ce constat ne peut se déduire que l’urgence de cheminements tels que le surnaturalisme brutal. Il s’agit de réincarner la foi de façon à cesser drastiquement de se compromettre dans le but « d’être du monde ». L’islam convainc parce que ce n’est pas le mahométan qui doit se compromettre pour être sur la terre, mais bien le monde qui doit faire des compromis pour toucher ses croyants (un travailleur musulman fait le ramadan, et l’entreprise s’adapte, pas l’inverse) ; il est temps d’en tirer les conclusions qui s’imposent.
Le renouveau spirituel chrétien ne prendra racine dans le pays réel que s’il est visible, quotidien et intransigeant. Il convient d’expliquer maintenant de quelle façon ce réenracinement pourrait se produire, avec l’aide du ferment précieux que constitue l’esprit monastique. Nous reprendrons ici les trois jalons mis en lumière par Boniface afin de décrire le cœur de cette spiritualité : Stabilitas, Praelium et Contemplatio.
On doit puiser dans les richesses du monachisme des armes qui permettent de s’engager dans la poursuite d’une existence radicale dans le monde. Quoi de plus intégral, quoi de plus à rebours, alors, que la reconquête de l’enracinement dans l’allégeance faite à une fondation ? La « citadelle » monastique est l’abri des âmes qui sentent leur cœur se tarir dans les désertiques sillons du monde. On ne construit pas son « cloître intérieur » sans qu’il ne s’incarne dans une réalité palpable.
Les milites christi qui combattent au dehors ont l’urgent besoin que soit relancée et (surtout) promue l’oblature, afin d’enraciner les vocations des fidèles par le serment fait à son monastère, symbole vivant de cette Patrie céleste qui survivra à toutes les autres.
Bien sûr, l’Église a autant besoin d’ oratores que des séculiers bellatores et laboratores. Cependant, la radicalité chrétienne au cœur du monde souffre d’un besoin plus que criant de vocations qui ne semble pas nécessiter de démonstration. En outre, promouvoir l’oblature donnerait au monachisme un rayonnement supplémentaire, étant donné qu’elle s’enracine en ce dernier. Cela permettrait de susciter davantage de vocations vers les fondations françaises puisqu’elle les suggèrent autant qu’elles les complètent.
De grâce, que ces fondations ne se situent pas dans les villes ! Qu’elles gisent à l’ombre de sinueux marécages, au creux de farouches montagnes ou de plaines reculées afin que l’oblat s’aperçoive incessamment que l’actuelle condition citadine corrompt invariablement les cœurs et dégénère les têtes. Ainsi, les milites christi, dans le désespoir et l’anonymat des villes mornes, combattraient chaque jour pour l’honneur de la Citadelle, avec la distance bienfaisante qui fit dire à Jésus : « ma royauté n’est pas de ce monde » (Jean, XVIII, XXXVI).
Ce combat incessant des âmes contre l’Usurpateur s’incarnerait, d’abord et avant tout, dans l’observance de l’Office Divin, déjà sécularisé, mais trop peu encouragé parmi les laïcs.
Le rythme quotidien du bréviaire permet aux séides, aux radicalisés (parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, n’ayons pas peur des mots) de ne plus être à l’heure du monde, mais celle de Dieu. C’est une révolution symbolique, une inversion totale des pôles que de pratiquer dans le monde cette liturgie.
Cette lecture aussi solitaire que commune permettrait l’érection de ce « monastère symbolique » dont parlait Boniface, ce cloître intérieur, cette citadelle protectrice qui pacifie l’homme, lui donnant alors les armes pour pacifier le monde. La prière constante de l’Office divin est un roc archaïque dans la tempête moderne. Elle permet à celui qui n’est rien de faire entrer de force la lumière de Dieu dans les vétustes recoins de son âme, et ce tout le jour durant.
Ceci nous amène, enfin, à considérer l’opportunité de rétablir la contemplatio dans l’existence du fidèle. Boniface citait la sobriété cistercienne pour montrer que l’enjeu de ce dernier impératif est de ne jamais distraire les Oratores de leur mission, la prière.
Les mœurs des hommes ont cela de particulier qu’on peut parfois, en fonction des époques, observer deux habitudes strictement antagoniques pour la même et unique raison, ainsi que l’évoquait Bergson au long de ses Deux Origines de la morale et de la religion, par sa distinction de la morale sociale et de la morale universelle.
Pour ne jamais se déconcentrer de leur combat, les moines cisterciens dénudaient leurs abbayes ; quant à notre époque, il faudra selon nous inonder le monde d’un fleuve de symboles.
Cîteaux a vu le jour dans une période où la France était acquise à la foi chrétienne, où tout ce qui se construisait et qui se fabriquait signifiait Dieu. Tout du moins, rien ne contrevenait à cette signification sans essuyer l’opprobre. Aux somptuosités sans cesse érigées à la gloire du Sauveur, ils préférèrent la pauvreté.
Notre temps, lui, est au contraire marqué par la pauvreté la plus laide et la plus médiocre qui soit. Ce surnaturalisme devrait être brutal parce qu’il est fils du désert, avorton de rien ni de personne. La représentation de Dieu a quitté le monde ; ne subsistent encore, ça et là, que quelques clochers, quelques calvaires, attendant patiemment qu’on les fourgue dans un musée ou une galerie des horreurs.
Au cœur de ce néant aride, nous avons un besoin urgent de nous réarmer grâce au symbolisme, d’incarner la puissance de Dieu et de Saint Michel partout et toujours. Nos devons constamment surenchérir en icônes et en représentations, quitte à tomber dans le kistch du catholicisme populaire hispanique, mais, de grâce ! Écrasons la laideur en lui vidant dessus des coffres de saintes babioles, sans valeur financière mais pleines de religiosité, des légions de petits saints de bois et de pierre, d’innombrables médaillons, de scapulaires, qu’importe ! Il nous faut revenir à la crainte superstitieuse et obscure de Dieu, retourner à la haine bilieuse de l’Enfer ; il faut que notre foi se touche, se sente, se goûte, que chacun de nous soit témoin de Dieu même inerte, même muet, même immobile. La modernité est une gigantesque nuit de l’esprit, et le christianisme militant devrait avant tout s’attacher à rendre Dieu visible partout où l’on tente de l’évincer afin d’armer celui qui est seul – car c’est ce qui arrive à tous ceux qui affrontent le monde – face au mensonge unanime.
Les chrétiens européens ont besoin qu’on ressuscite la bigoterie, le symbolisme, le superstitieux local que défendait Barbey avec la plus exquise exactitude. Ces chapelets, ces icônes, ces santons, ces statuettes, ces pendentifs sacrés sont autant d’armes dont nous avons instamment besoin pour assurer le salut de notre âme. Il faut s’enivrer d’encens, se gaver de retables anciens et de représentations du sanctoral. Assez de l’abstraction, car le combat a lieu maintenant et toujours, jusqu’au dernier sommeil.
À cet effet, notre conviction est qu’il serait bon d’emboîter le pas des premiers chrétiens persécutés, et d’adopter à nouveau la coutume qui consiste à graver partout les symboles de notre foi, jusque dans notre propre chair. Il est question ici de tatouages, bien évidemment sacrés.
On risque probablement de protester. Les mêmes objections reviennent régulièrement, et nous comptons nous en servir pour exprimer le sens et la nature exacte de cette proposition, qui touche à la source du surnaturalisme brutal.
- Cela fait mauvais genre !
Bien sûr, le tatouage a toujours fait mauvais genre. Il est bon de rappeler que les premiers qui furent pratiqués sont ceux dont on marquait les esclaves, afin de les marginaliser, de les stigmatiser. C’est précisément de cela qu’il s’agit. Ichtus, le poisson symbolique de la foi des chrétiens persécutés faisait partie, à l’origine, de ces stigmates. Les chrétiens ont fait de ce symbole de la souffrance un étendard. Il en fut de même pour la croix, instrument de mort, de torture et de désolation, qui est le symbole de notre Seigneur Jésus-Christ qui, rappelons-le, faisait aussi « mauvais genre ».
Que cette foi gravée à l’encre soit la plus visible possible, qu’elle soit pratiquée sur l’extérieur des mains, sur le crâne, le front, qu’importe : Pierre eût été béni d’avoir eu ce recours lorsqu’on lui donna à trois reprises le moyen de confesser sa foi au mépris du danger. Tatoué sur les deux mains, qui peut se dérober aux malhonnêtes objurgations du monde ? Voilà précisément l’enjeu de ce stigmate visible.
- Comment voulez-vous trouver du travail si vous vous tatouez, par exemple, les deux mains ?
Cette objection courante, invoquant l’impératif de réalité, rejoint parfaitement la première. Si votre foi fait « mauvais genre » passé la porte de la banque, ce n’est pas votre foi le problème : vous ne travaillez tout simplement pas au bon endroit. Bien entendu, une foule de circonstances atténuantes viennent à l’esprit de celui qui arguera du bonheur et de la survie de la famille qu’il a à charge, mais le fait est là.
Il ne s’agit absolument pas de morigéner qui que ce soit. Des décennies d’encouragement à la compromission ont mis bien des fidèles dans une position intenable, et les responsables des malheurs de ceux qui leur ont obéi paieront cela au ciel s’ils ne s’en sont repentis. Simplement, celui qui possède encore l’opportunité de se prémunir, avant d’en avoir besoin, du fait de pactiser au règne des voleurs devrait, lui, faire ce choix afin que même lorsque sa foi faiblit, elle le trahisse... ou plutôt, afin qu’il s’impose de ne pas la trahir.
Il est là, l’enjeu du tatouage pour une spiritualité chrétienne réincarnée : servir de témoin scandaleux du fond de notre cœur, et nous imposer les seules voies de Dieu au mépris des autres.
- Cela contrevient même à la loi républicaine de la laïcité !
Nous nous bornerons ici à citer le Dialogue des carmélites :
« - Ils disent hors-la-loi.
Ma pauvre enfant, un poisson ne saurait vivre hors de l’eau, mais un chrétien peut très bien vivre hors-la-loi. Que nous garantissait la loi ? Nos biens et nos vies. Des biens auxquels nous avons renoncé, une vie qui n’appartient plus qu’à Dieu... Autant dire que la loi ne nous servait pas à grand chose. »
- Cela devient laid avec le temps, puisque l’on ne peut l’effacer
Cette objection au demeurant assez faible mérite néanmoins qu’on s’y attarde afin d’exprimer l’un des enjeu de cette pratique, dans l’objectif du surnaturalisme brutal.
L’un de nos amis remarquait justement le fait qu’autrefois, les habitués de ces pratiques ne vivaient pas souvent très vieux. Avant que n’importe quel bougre puisse se tatouer sans susciter la moquerie générale du fait du néant existentiel dont il témoigne, bagnards, esclaves, marins et voyous - ceux qui étaient alors tatoués - menaient des vies plutôt courtes. Cette laideur consécutive au vieillissement du corps sous-entendait la brièveté de l’existence.
Qu’il nous soit permis de voir cette contrainte comme un engagement à ce que la détérioration de l’encre soit proportionnelle à l’épuisement de nos forces au salut des âmes. Ainsi, ce symbolisme épidermique peu représenter un serment ad vitam autant qu’un memento mori chrétien.
De même que sur nos corps, il faut à notre avis s’insurger, et vandaliser les constructions brutales et anonymes, c’est-à-dire celles qui sont laides et vierges de tout ornement, celles qui n’ont de monumental que leur inhumanité, en peignant partout les symboles de notre foi, comme une résistance, comme une esquisse du ciel au milieu des fleuves de boue. Il faut faire ressurgir l’iconographie des fins dernières, redonner la crainte mystique aux fidèles qui n’attendent que cela pour frissonner de terreur et de joie. Il faut rendre ses ornements à la liturgie, et au Christ ses figurations paroxysmiques. Debout les gargouilles et les diablotins ! Debout Les mascarons, les marmousets, debout les chérubins et les Saint Georges, debout les ichtus ! Qu’ils servent au vandalisme de ce qui est laid. Nous avons besoin de repeindre le monde et de lui opposer partout un surnaturalisme assumé, héroïque, brutal.
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