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L’œcuménisme après Rowan (2)

Bougainville vous propose de revenir sur le départ de Mgr Rowan Williams, primat de la Communion anglicane depuis 2003, chef spirituel de 77 millions de chrétiens dans le monde.

Quel impact le dernier primat anglican a-t-il eu sur l’œcuménisme et les relations entre la Communion anglicane et l’Eglise catholique romaine ?

Il n’est pas trop audacieux d’affirmer que c’est l’anglicanisme qui a donné naissance à l’œcuménisme moderne, lorsque la conférence d’Edimbourg, en 1910, a posé les bases d’un rapprochement entre différentes dénominations protestantes, à l’initiative de l’Eglise d’Angleterre. Cette dernière souhaitait proposer à la Chrétienté son propre modèle : un compromis entre plusieurs tendances théologiques, avec un maximum de convivialité entre communautés et un minimum d’insistance sur les divergences dogmatiques. Cette vision a été réaffirmée par Mgr Rowan Williams lors de son mandat : le primat distinguait les questions « de premier ordre » (le salut en Jésus-Christ, la véracité de la Bible…), communes à tous, et « de second ordre » (nature de l’Eglise et de l’Eucharistie, fonction du prêtre...).

Pourtant, l’histoire de l’anglicanisme était riche de tentatives de clarifier sa doctrine. La plus féconde d’entre-elles fut le Mouvement d’Oxford du XIXe siècle, initié par le révérend John Henry Newman, qui tenta de faire revenir l’Eglise d’Angleterre aux dogmes antérieurs à la Réforme : la succession apostolique, les Pères de l’Eglise, la foi dans l’Eucharistie et le culte marial. Attaqué par la frange protestante, il quitta son ministère, puis son Eglise pour devenir le célèbre cardinal catholique de Léon XIII.

Avec l’envol de l’œcuménisme institutionnel, de type World Council of Churches, l’anglicanisme prôna l’intercommunion (la communion eucharistique ouverte à tous les baptisés) avec les autres dénominations protestantes et chercha à se rapprocher l’Eglise catholique romaine, par le biais de la Commission internationale anglicane-catholique (ARCIC), inaugurée en 1970. Cette structure, enfant chéri des partisans de l’œcuménisme de l’époque, angélique et prometteur, déboucha sur des avancées certaines, mais tomba progressivement en désuétude avec les ordinations de prêtres femmes, en 1993, et d’un évêque homosexuel militant en 2003, qui déclencha le schisme inter-anglican de 2008. Ces évolutions, encouragées par les lobbies LGBT et les mouvements comme Affirming Catholicism soutenus par Mgr Rowan Williams, creusèrent le fossé entre les Eglises anglicanes et catholique, et aggravèrent le « fourre-tout » théologique au sein de l’anglicanisme : les questions « premières » et « secondes » se mélangèrent, puisque pour certains, par exemple, se doter de femmes évêques impliquait de remettre les Ecritures en question.

Au grand désespoir des « professionnels de l’œcuménisme », tel le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens jusqu’en 2010, le pape Benoît XVI prit acte de cette impasse en faisant preuve d’ouverture et d’imagination : contacté en 2007 par les anglicans dissidents de la Traditional Anglican Communion, puis en 2008 par un petit groupe d’évêques High-Church de l’Eglise d’Angleterre, qui demandaient à entrer dans l’Eglise catholique avec leurs fidèles (la corporate reunion), il répondit par la constitution apostolique Anglicanorum Coetibus en novembre 2009, qui permet aux communautés anglicanes de conserver leurs traditions et leur patrimoine au sein de l’Eglise catholique.

Pour les partisans comme pour les adversaires de l’œcuménisme qui avait jusqu’à présent prévalu, cet évènement était une OPA en règle du Vatican sur les fidèles de la Communion anglicane. En réalité, il n’en était rien. Le Saint-Père a toujours eu une perspective claire sur le sujet : le but de l’œcuménisme n’est pas une négociation courtoise, mais le rétablissement de la communion ecclésiale. Cependant, plutôt que de revenir à l’uniatisme, le rattachement pur et simple de communautés entières à Rome, Benoît XVI offre à des fidèles quittant volontairement leurs Eglises une structure d’accueil destinée à enrichir l’Eglise catholique romaine de leur venue.

Prêtres ex-anglicans de l’Ordinariat Notre-Dame de Walsingham avec leur ordinaire, Mgr Keith Newton, lors d’un pélerinage à Rome, en février 2012.

Parallèlement, il poursuit le dialogue avec l’anglicanisme, en lui demandant de clarifier son identité et sa doctrine, comme le voulait Newman. A travers les anglicans ralliés à Rome, il souhaite amener leur Communion d’origine à se repositionner par rapport à la vérité chrétienne et au magistère des Pères de l’Eglise, plutôt que de travailler à son effondrement et ne plus voir aucun autre Mouvement d’Oxford en son sein. Concrètement, Benoît XVI martèle la même chose aux anglicans et aux luthériens, les protestants historiques ayant conservé une certaine vie sacramentelle et ossature dogmatique, susceptibles de revenir un jour à l’intuition des Réformateurs (rester dans l’Eglise indivise), et de la purifier : soyez fidèles à vos fondamentaux !

Le paradoxe est que, dans cet œcuménisme totalement novateur, qui révulse ceux qui se bercent en chantant « tous pareils, aucune différence » et les catholiques aux vues étroites, le pape avait pour allié Mgr Rowan Williams, pourtant très éloigné de lui en matière de sacerdoce et de morale sexuelle ! En effet, l’archevêque de Canterbury, théologien comme Benoît XVI, était un pur produit de la High-Church catholicisante, fin connaisseur des traditions liturgiques, admirateur du monachisme et animé d’une foi ardente dans la Présence réelle dans l’Eucharistie et dans les dogmes mariaux. En outre, malgré leurs divergences qu’ils ne manquaient pas de rappeler, Mgr Williams appréciait personnellement le pape, et cette estime était réciproque. Il était donc réceptif à la requête du Saint-Père, et pouvait engager le dialogue, contrairement à son probable successeur, Mgr John Sentamu, et aux autres primats – majoritairement évangéliques, et donc totalement désintéressés par cette perspective.

Le 10 mars 2012, la veille de l’annonce de sa démission, Mgr Rowan Williams avait célébré les vêpres avec Benoît XVI, au monastère romain St Grégoire au Coelius, dont le père abbé se trouve être… un ancien pasteur anglican ! L’archevêque de Canterbury avait pu évoquer leur désir commun de voir « la restauration de la pleine communion sacramentelle, d’une vie eucharistique pleinement visible et, donc, d’un témoignage qui soit pleinement crédible, de façon à ce que le monde confus et tourmenté puisse entrer dans la lumière accueillante et transfiguratrice du Christ  ».

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