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L’archevêque de Canterbury, Mgr Rowan Williams, a annoncé le 16 mars dernier sa démission après dix ans en tant que primat de la Communion anglicane. A 62 ans, huit ans avant l’âge de la retraite, il a expliqué aux médias ressentir le besoin « de prier et de réfléchir et de revoir ses options ». Avouant que « Canterbury va énormément [lui] manquer », il ajoute avec humour : « J’espère que mon successeur aura une constitution de bœuf et la peau d’un rhinocéros ».
Le Plus Révérend Père en Dieu Rowan Williams laisse en effet un bilan difficile à la tête de l’anglicanisme mondial. Il n’a pas su empêcher le schisme de 2008 entre les Eglises africaines et australienne et les Eglises anglo-saxonnes sur le sujet du militantisme homosexuel, rejeté par les unes, accepté par les autres, et le recul de l’œcuménisme que cela a provoqué : le catholicisme romain et l’orthodoxie sont aujourd’hui plus loin des anglicans qu’ils ne l’étaient auparavant.
Le quotidien The Guardian résume le sentiment général en titrant : « Rowan Williams : un chic type, une tâche impossible ». Conséquence so British de cette démission, les bookmakers ont déjà lancés les paris pour le nouvel archevêque de Canterbury. Parmi les successeurs pressentis, on trouve Nicholas Thomas Wright (« NT Wright », pour les intimes), ancien évêque de Durham et professeur de Nouveau Testament à la prestigieuse Université de St Andrews, en Ecosse. Cependant, c’est l’archevêque de York, second de Mgr Williams à la tête de l’Eglise d’Angleterre, Mgr John Sentamu, d’origine ougandaise, qui fait figure de favori. Il est en effet proche du Parti conservateur, et dans l’Eglise d’Etat du Royaume-Uni, c’est un comité de sélection qui présente deux noms au Premier ministre, qui a le dernier mot. Ce procédé révolte le Père Alexander Lucy-Smith, dans le Catholic Herald : « à chaque fois que la politique a pris le dessus sur la prière, cela a été un scandale ».
De son côté, Cole Moreton, auteur de Dieu est-Il encore Anglais ?, se fait grave dans le Telegraph : « La bataille pour l’âme de la Grande-Bretagne peut commencer. » En effet, depuis quelques années, le Royaume-Uni, massivement « déprotestantisé », est le théâtre d’un assaut en règle contre la religion, et en particulier contre le christianisme. Or, le dernier archevêque de Canterbury a échoué pendant son mandat à répondre à ce défi, en premier lieu parce qu’il a encouragé la dilution de l’anglicanisme dans la société moderne : « Quand on parle de la perte des racines chrétiennes de notre pays, de quel christianisme parle-t-on ? » demande l’auteur. Il est vrai qu’entre le recteur de la cathédrale St Alban John Jeffrey, « pacsé » au révérend Grant Holmes, et Mgr Keith Newton, ancien évêque de Richborough, aujourd’hui responsable de l’Ordinariat Notre-Dame de Walsingham, composé d’anglicans ralliés à l’Eglise catholique romaine, il y a de quoi s’interroger.
Il convient avant de poursuivre notre propos de clarifier la complexité de l’anglicanisme pour nos lecteurs francophones, et a priori ayant en tête l’Eglise catholique :
Il a y a longtemps eu « une » Eglise anglicane, unifiée par la colonisation britannique autour de l’archevêque de Canterbury et de Sa Majesté. A partir des années 1970, la fin de l’Empire a provoqué l’émergence d’une Communion d’Eglises nationales, dotées chacune d’un primat, liées au siège de Canterbury, qui conserve une primauté d’honneur. A la même période, au Royaume-Uni, le fonctionnement de l’Eglise-mère changea radicalement : du duo archevêque-souverain, on passa brutalement à un synode de clercs et de laïcs, infiltrés par le Parlement et les associations politiques. Cette même situation prévaut aujourd’hui dans les Eglises luthériennes scandinaves, où les synodes sont divisés en factions, et où les laïcs peuvent voter contre les évêques ! Il n’est pas difficile d’imaginer, dans la tourmente de l’époque, comment des groupes organisés ont pu diffuser dans leurs communautés le libéralisme ambiant et asseoir les revendications féministes, puis LGBT, en exigeant des prêtres et évêques femmes et/ou militants homosexuels.
Aujourd’hui, la réalité de l’anglicanisme n’est plus la Grande-Bretagne impériale, mais ce qu’on appelle le Global South, comme l’a résumé Justin Welby, ancien recteur de la cathédrale de Liverpool : « l’anglican moyen est une femme africaine de trente ans ».
Historiquement, l’anglicanisme se divisait en trois tendances théologiques : la Low Church, Basse-Eglise, à sensibilité protestante évangélique ; la Broad-Church, Eglise de la via-media, du compromis national entre catholicisme et protestantisme ; la High Church, Haute-Eglise, « anglo-catholique », puisque qu’ayant conservé la liturgie et les dogmes catholiques.
Aujourd’hui, les anglicans dans leur majorité, a fortiori ceux résidant en Afrique, se rattacheraient plutôt à la mouvance évangélique. La Broad Church, de par son passé de bras spirituel de la société anglo-saxonne, est libérale et ouverte aux vents de la « modernité ». Au sein même de la High-Church cohabitent trois mouvements : un noyau ultralibéral, favorable au clergé féminin et au militantisme homosexuel. Une frange dite des Classical Anglicans, attachée à la liturgie et aux dogmes traditionnels catholiques, mais pas au point de vouloir revenir à l’Eglise de Rome. Enfin, les « Anglo-papistes », héritiers du Mouvement d’Oxford et de l’élan de la fin du XIXe siècle qui aspirait à l’unité avec Rome. Eux-mêmes sont divisés entre les « médiévalistes », qui valorisent l’Eglise indivise du Moyen-âge, et célèbrent parfois selon des traditions locales (le rite anglo-normand de Sarum chez les anglicans) et ceux qui efflorescent de réunir la liturgie traditionnelle de leur Eglise avec celle des catholiques. Cette configuration complexe se retrouve dans les Eglises luthériennes scandinaves, et à moindre mesure dans l’Eglise luthérienne allemande.
Mgr Rowan Williams, lui, était issu de la High Church. Intellectuel et philosophe d’Oxford et Cambridge, il se passionne pour la réflexion théologique la plus haute. Pourtant, ou parce que précisément il venait de ce milieu, il est à l’origine en 1990 du mouvement Affirming Catholicism, qui milite pour les prêtres et évêques femmes et l’alignement du christianisme sur les revendications LGBT. En soutenant de telles « avancées », l’ancien archevêque s’est attiré la bienveillance des anglicans libéraux, minoritaires et en perte de vitesse, comme Katharine Jefferts Schori, la présidente de l’Eglise épiscopale américaine, et a provoqué le départ des anglicans fidèles à aux vérités bibliques, majoritaires : les Eglises « Low Church », africaines et australienne, et les groupes « anglo-papistes », qui ont commencé à rejoindre l’Eglise catholique romaine.
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