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Bien commun : faut-il une religion civile ? [Partie II]

Comment recréer cette solidarité dans notre société où le droit est roi, où chaque individu est incité à en user (certes !) et en abuser, sous le seul prétexte d’être humain. Eduqué dans cet extrême, le citoyen s’éloigne alors chaque jour un peu plus de ses obligations qui le contraignent. Tel un enfant trop tôt gâté, à qui l’on n’a pas su inculquer le goût de l’effort, chacun tape du pied, roule, hurle et crie tant qu’il n’obtient pas ce qu’il veut. Soyons maîtres de nous-même, user sans abuser, jouir sans gâcher le plaisir.

Seule une religion civile pourrait nous aider à rééduquer notre société, qui, percluse dans un fonctionnement individualiste, se laisse inexorablement aller à sa perte. La religion civile évoquée et développée par le professeur Emilio Gentile octroie à la société deux biens précieux. Non seulement, elle dispose les citoyens à l’obéissance en « assainissant les mœurs » mais aussi, elle crée une religiosité minimale, socle commun à tous les citoyens, qui, usant de la même morale, peuvent alors créer une société plus juste. En effet, comment créer une société juste lorsque pour chacun la morale diffère, ou n’a pas la même valeur ? Le contrat social est annihilé car la justice de l’un fera l’injustice de l’autre.

Tocqueville développa à merveille dans son livre De la démocratie en Amérique (tome I, partie 2) les bienfaits de la religion comme institution politique :
« Ainsi l’esprit humain n’aperçoit jamais devant lui un champ sans limite ; quel que soit son audace, il sent de temps en temps qu’il doit s’arrêter devant des barrières insurmontables. Avant d’innover, il est forcé d’accepter certaines données premières, et de soumettre ses conceptions les plus hardies à certaines formes qui le retardent et qui l’arrêtent ».
Somme toute, ainsi, l’homme jouit d’un cadre qui non seulement l’empêche de se détruire mais aussi de détruire par colère le monde qui l’entoure. Car, continue Tocqueville ;
« Ces habitudes de retenue se retrouvent dans la société politique et favorisent singulièrement la tranquillité du peuple. […] Ainsi donc, en même temps que la loi permet au peuple (...) de tout faire, la religion l’empêche de tout concevoir et lui défend de tout oser ».

A ceux qui s’inquiètent de ce concept de « religion civile » qu’ils jugeraient réactionnaire ou que l’ombre d’un clergé tirant les ficelles du pouvoir ferait frémir, je rétorquerai que religion et démocratie ne sont pas opposées, contrairement à ce que nous enseigne une certaine histoire de France, de 1789 à nos jours, qui, en règle générale, fait des deux éléments des ennemis. Religion et République ont, il n’y a pas si longtemps que cela, marché main dans la main, un bref instant, certes, mais un instant poignant, portant ensemble les idéaux de l’une et de l’autre. Lors de la révolution de février 1848, esprit républicain et esprit religieux se sont embrassés. Les cris de « Vive la République » se confondaient avec ceux de « Vive la Religion, vive Jésus Christ », prouvant que toute insurrection n’était pas irrémédiablement anticléricale. Que pourrions-nous trouver à redire à cette phrase : « Il n’y a pas d’ennemis ici, nous sommes tous frères, un même sentiment nous anime, celui de la charité, un même désir nous transporte, celui de la liberté » que prononçait à Toulouse l’abbé Carboy ? Les prêtres, en ces temps heureux, bénissaient les arbres de la liberté, et les hommes politiques, à l’instar de Carnot, sollicitaient les évêques afin que ceux-ci rappelle les citoyens aux devoirs de la république.

Je n’inclus pas ici la religion catholique comme modèle mère de la religion civile par affinité mais plutôt par soucis de cohérence. Il en va du passé, de la culture, de la tradition française. De plus, non seulement Tocqueville, mais aussi l’évêque de Gap en 1848, nous invitent à considérer que les deux puissent s’allier harmonieusement. Ils écrivaient respectivement ;
« Je pense qu’on a tort de considérer le catholicisme comme un ennemi naturel de la démocratie. Parmi les différentes doctrines chrétiennes, le catholicisme me paraît au contraire une des plus favorables à l’égalité des conditions. »
Et l’évêque de dire, en parlant du triptyque républicain, liberté, égalité, fraternité :
« Les institutions qu’on nous donne aujourd’hui ne sont pas les institutions nouvelles ; elles ont été publiées sur Golgotha ; les apôtres et les martyrs les ont cimenté dans leur sang ».

Si l’enthousiasme des auteurs et ecclésiastiques cités pour la République paraît bien naïf, il n’en demeure pas moins que la question du ralliement de la République à l’Eglise - et non l’inverse - mérite attention et discussion.
NDLR

Cependant ne nous trompons pas. La religion ne doit pas être un instrument de pouvoir. Un instrument politique, certes, en temps qu’elle est gardienne de la paix, de l’espérance, de valeurs et d’une culture communes, mais elle ne doit pas, à mon sens, s’associer au gouvernement temporel. Car les gouvernements et les gouvernants passent, et prouvent souvent que la corruption n’est jamais loin de la politique car les tentations sont nombreuses et les opportunités de se servir soi-même, innombrables. Alors que la religion doit s’ériger comme un guide, un chemin de vertu et d’espérance, elle ne peut se permettre de souffrir de scandales. Elle doit au contraire être là pour rappeler au gouvernement des hommes, les risques qui le guettent et le recentrer toujours sur la dignité humaine, d’éviter que la société ne soit que l’expression de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Charivari

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