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Islam et Christianisme, comprendre les différences de fond est la réédition réactualisée en un seul volume de deux ouvrages du Père Jourdan : Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans et La Bible face au coran. Le sujet est en effet plus que jamais d’actualité [2].
Choisissant trop souvent, par facilité ou par peur, de ne pas aborder les différences profondes et réelles entre islam et christianisme, l’Occident se retrouve face à une impasse pour comprendre ce qu’est l’islam. « Car la réalité, c’est que nous sommes gravement en retard. Dans les pays musulmans, le statut juridique de « protégés » (dhimmis), en fait un assujettissement plus ou moins pesant selon les périodes de l’histoire, a retenu les chrétiens d’Orient eux-mêmes d’aller le plus loin possible dans l’analyse de nos différences, révélatrices de nos identités » [3].
À la fois islamologue et théologien, le père François Jourdan possède une double compétence précieuse et rare grâce à laquelle il nous montre combien les ressemblances que l’on croit voir entre islam et christianisme cachent bien souvent de profondes différences doctrinales.
Dans une première partie, l’auteur fait la liste des perplexités engendrées par une approche confuse du dialogue avec l’islam. Les points communs “qui nous rapprochent” que l’on croit déceler partout sont en réalité superficiels et piégés. Les musulmans reconnaissent la Bible ? Mais ils n’entendent pas par “Bible” ce qu’en comprennent les chrétiens. Le Îsâ du Coran traduit par Jésus n’est pas le Jésus biblique. « C’est lui, et ce n’est pas lui ! » La conception et la naissance divine de Jésus sont ignorées du Coran, sa mort sur la croix et sa résurrection sont niées, le Christ ne serait ainsi pas mort au Golgotha. Le père Jourdan dénonce par ailleurs la référence récurrente, trompeuse et idéalisée à l’Andalousie de l’Espagne musulmane [4] et souligne que l’intérêt que porte l’occident au soufisme n’est que fort peu partagé dans le monde arabe musulman [5]. On le voit, les mêmes termes employés par chrétiens et musulman n’ont pas la même signification dans la bouche des uns et des autres.
L’expression “religions du livre” est trompeuse et nous vient de l’islam qui l’utilise pour désigner le judaïsme et le christianisme, deux religions qui ne sont pourtant pas des religions du livre mais plutôt des religions de l’Alliance. Cette alliance entre Dieu et son peuple élu se déploie se déploie dans le temps et dans l’histoire, dans l’ancien puis dans le nouveau testament où elle est accomplie par Jésus. Cette notion d’Alliance implique dans le judaïsme puis le christianisme un rapport à Dieu fort différent de celui de l’islam. Dans le Coran, ce n’est pas Dieu qui est révélé mais son message, ou plutôt un ensemble de règles. Allah demeure impénétrable.
S’il existe bien des notions de pacte avec Dieu en islam, aucun de ces pactes ne recouvre la même notion d’Alliance avec les hommes. Dieu ne fait pas irruption dans l’histoire et le rapport entre l’homme et Dieu est vertical, alors que l’Alliance biblique introduit un lien horizontal entre Dieu et les hommes et que Dieu se manifeste à travers son alliance avec le peuple juif dans l’Ancien Testament, puis de manière encore plus historique à travers Jésus dans le Nouveau Testament. . Cette alliance qui se prolonge et évolue à travers l’histoire explique la tradition vivante en judaïsme puis christianisme et la continuité réelle entre judaïsme et christianisme.
Le père Jourdan montre aussi comment le statut du prophète et la notion de prophétisme sont fort différentes entre d’un coté le judaïsme et le christianisme, et d’un autre coté l’islam. La chronologie prophétique islamique ne recoupe pas la liste judéo-chrétienne, et quand elle le fait, elle ne se rapporte pas aux mêmes textes. De même, on remarque l’absence de tout messianisme en islam.
« Le rattachement direct et immédiat à Dieu qui a la tutelle sur tout est caractéristique de l’islam. A commencer par le Livre-Mère, écrit éternel qui est au Ciel sous le trône de Dieu, gardé par les anges depuis toujours : c’est un "Livre primordial", prototype, matrice des prédications des prophètes et des cinq livres censés être descendus au cours de l’histoire depuis Adam jusqu’à Muhammad, dont le seul spécimen constatable, selon les musulmans est le Coran » [6].
La nature des textes est elle aussi différente. Le Coran se présente comme un texte situé en dehors de l’histoire, préexistant, dicté directement à Mahomet. Son auteur est Dieu. Au contraire, la Bible a pour auteur et Dieu et les hommes, elle est d’inspiration divine mais n’est pas "dictée" et son écriture inspirée s’inscrit dans le temps, ouvrant de par sa nature la possibilité de l’interprétation. De même, le nouveau testament n’est pas écrit par Jésus, mais par des disciples. On le voit, le statut du texte est fort différent. En islam, il est premier, avant toute tradition interprétative.
Enfin, lorsque l’islam dit reconnaitre la bible, il ne parle pas du texte biblique des chrétiens et des juifs, mais d’un message biblique originel, qui aurait été corrompu et falsifié par les hommes à plusieurs reprises (cette revendication d’une présence historique de l’islam avant Mahomet, à travers les différentes descentes du livre-mère dans l’histoire n’est d’ailleurs pas sans poser problème à l’islam). De fait, « L’islam n’est pas biblique » [7].
Cette thèse de la falsification de la Bible, ajoutée aux précédentes différences, fait que l’on ne peut présenter les trois monothéismes comme les trois branches d’un même arbre. Si le judaïsme a bien une filiation nette dans le christianisme, l’islam est à part, comme un autre arbre [8].
Puisque le Jésus biblique n’est en effet pas l’Îsa coranique, il ne peut être le fondateur du christianisme qui, pour l’islam, serait saint Paul. Accusé par la tradition musulmane d’avoir réinterprété et déformé le message originel de Jésus, « Paul serait le grand falsificateur » [9].
Mais Jourdan montre combien cette hypothèse est difficile à soutenir. L’Église existait bien avant la conversion de Paul, et les apôtres, témoins directs du message évangélique, n’auraient surement pas laissé Paul le falsifier. De plus, les écrits pauliniens ne sont qu’une partie du corpus de texte chrétien qu’est le nouveau testament.
« Il y eu en effet deux manières bien différentes de s’approprier l’héritage de la philosophie grecque antique comme usage de la raison humaine : la paraphrase qui est une sorte de “digestion”, et le commentaire qui est une sorte d’“inclusion”. Globalement, le christianisme se placera du côté de l’inclusion, l’islam du côté de la digestion » [10].
Autre point fondamental, en islam, « la démarche théologique n’est pas nécessaire : le dogme islamique est si simple avec l’unicité de Dieu (Tawhîd) ; et ce qu’on appelle le kalâm (“parole”) est une apologie défensive ad extra pour contrer les autres religions, en particulier le christianisme qui, lui, se sert de la théologie. Si le christianisme a développé la théologie, ce n’est pas par hasard, mais là encore c’est lié à une cohérence propre » [11].
En effet, le développement de la théologie chrétienne est lié à sa tradition interprétative. Le texte biblique, héritier tout d’abord de la tradition orale juive et chrétienne n’est pas considéré comme parfait et indépassable. Si l’islam possède bien une tradition, les hadiths, le fonctionnement en est fort différent : « Nous pouvons mesurer combien les premier et nouveau Testaments ne fonctionnent pas du tout selon le schéma de la tradition des hadiths. La Bible est le fruit de la tradition orale porteuse de la vie de la communauté qui est première et qui continue après la rédaction inspirée. Pour l’islam, le Coran écrit vient en premier, et la tradition n’est pas la vie de la communauté mais des détails de la vie du fondateur autant qu’il pourrait être possible de les retrouver après deux ou trois siècles » [12].
De même, le Coran, parole de Dieu dictée à l’homme accepte mal de se soumettre à la raison critique et à l’approche philologique (comment expliquer les erreurs, parfois même grammaticales, du Coran ?). Comment alors aller au delà de cette clôture de la révélation en islam et le faire évoluer ? C’est la toute la difficulté des savants islamiques modernistes qui se heurtent en permanence à ce refus d’une critique textuelle.
Ces différents points évoqués sont loin d’épuiser toute la matière du livre [13]. Toute personne, qu’elle soit intéressée par le dialogue entre religions ou qu’elle cherche à comprendre ce qu’est l’islam devrait le lire, ne serait-ce que pour acquérir des clefs essentielles à la compréhension de ce que nous vivons actuellement.
Le dialogue nécessite une connaissance vraie de l’autre. Connaitre l’autre, y compris à travers ses différences, est la seule manière de pouvoir avancer et proposer des solutions cohérentes. Quelle que soit la solution que l’on souhaite avoir face à l’islamisation de l’Europe, acquérir une compréhension profonde de ce qu’est l’islam est fondamental. Un ouvrage donc, à mettre entre toutes les mains.
[1] Article publié pour la première fois le 19 février 2016. Mis à jour le 17 mai 2018.
[2] La réédition des textes ensemble aurait pu être accompagnée d’une refonte un peu plus profonde qui aurait évité la présence de deux bibliographie et de trois introductions ainsi que quelques redites. Mais ces quelques défauts techniques mineurs n’enlèvent rien à l’intérêt et à la brûlante actualité de cet ouvrage.
[3] p.8.
[4] p.68-70.
[5] p.86-87.
[6] p.137.
[7] p.356.
[8] p.146-149.
[9] p.169.
[10] p.301-302.
[11] p.310.
[12] p.312.
[13] Je n’aurai qu’une seule réserve. Elle porte sur la fin de la nouvelle introduction (p.12) où l’auteur déclare : « Il faut que nous admettions ensemble que nous sommes entrés dans une phase nouvelle de l’histoire de l’humanité : on n’a jamais été si nombreux sur la terre, les cultures si mélangées, sociétés et religions [...] On ne peut plus envisager de bâtir comme par le passé une société à partir d’une religion [...] ». Faut-il vraiment y renoncer et céder au multiculturalisme ?
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