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It’s the Vatican, stupid !

24 janvier 2012 Bougainville

Pressés par leurs mécènes et les différents lobbies qui les harcèlent, les candidats aux primaires du Parti républicain aux Etats-Unis rivalisent de zèle et d’absurdités. Pourtant, un coup d’œil sur plusieurs sites et blogs catho-tradis français suffit de voir que certains de ces individus sont portés aux nues « parce qu’ils sont pro-vie ! ». Par contre, aucun commentaire sur ce fameux débat entre candidats en Caroline du Sud, qui a vu les très chrétiens républicains résumer leur politique étrangère à cet ordre simple : « Kill them ».

Ce qui fait dire à une Américaine de mes amies : « Si le parti républicain est bien celui de la famille et des chrétiens, alors nous devons nous demander ce qu’est devenu le christianisme aux Etats-Unis… »

Après tout, nous ne pouvons pas vraiment reprocher aux catholiques conséquents de la Toile de vouloir mettre leurs idées en adéquation avec les exigences de leur foi. Ils disent : «  nous soutenons les républicains, car ils défendent les points non-négociables énoncés par la doctrine de l’Eglise catholique ». Qu’à cela ne tienne, avant de nous enfoncer dans la bassesse de ces personnages, prenons de la hauteur en revenant à ce que préconise le Saint-Siège.

Ne pas négocier les points non-négociables

La constitution pastorale du concile Vatican II Gaudium et Spes, promulguée le 7 décembre 1965 par Paul VI, est un plaidoyer pour la « sauvegarde de la paix  ». Il ne s’agit pas d’un refus de principe de tout usage des armes, puisque la notion de légitime défense est permise, mais un appel à la responsabilité des dirigeants politiques :

« … on ne saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisées toutes les possibilités de règlement pacifique, le droit de légitime défense. Les chefs d’État et ceux qui partagent les responsabilités des affaires publiques ont donc le devoir d’assurer la sauvegarde des peuples dont ils ont la charge, en ne traitant pas à la légère des questions aussi sérieuses. Mais faire la guerre pour la juste défense des peuples est une chose, vouloir imposer son empire à d’autres nations en est une autre. La puissance des armes ne légitime pas tout usage de cette force à des fins politiques ou militaires. »

Pour ceux que le seul nom de Vatican II rebuterait, et qui réalisent l’exploit d’équilibriste de se réclamer de Benoît XVI alors qu’ils refusent de l’écouter, voyons les célèbres « points non-négociables », labellisés 100 % Ratzinger et martelés, à juste titre, sur le Net dès que l’on parle de politique. Ils ont été énoncés une première fois par le cardinal Joseph Ratzinger en 2002, dans la Note doctrinale à propos des questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique  [1] : il s’agit d’abord de la protection de la vie humaine, de la défense de la famille et de la liberté d’enseignement. Ces trois domaines seront qualifiés par le pape en 2006 de « non-négociables ».

Cependant, les engagements des catholiques ne s’arrêtent pas là, car la Note de 2002 mentionne également, dans la même liste que les futurs points non-négociables :

  • « la protection sociale des mineurs et la libération des formes modernes d’esclavage  »
  • « une économie qui soit au service de la personne et du bien commun, dans le respect de la justice sociale, du principe de solidarité humaine et de la subsidiarité  »
  • « la liberté religieuse  »
  • Et enfin, le « grand thème de la paix  » (et le « refus radical et absolu de la violence ») qui nécessite « un engagement constant et vigilant de la part de ceux qui ont une responsabilité politique  ».

Il est donc assez présomptueux d’affirmer que les trois points « non-négociables » sont les seuls exigences des catholiques dans le débat public, voire de les réduire (dans le cas des républicains US) à la seule défense de la vie, et de se dispenser de réflexion sur le reste.

Le pape contre les cow-boys

On peut déjà affirmer que les dernières aventures guerrières américaines, vernies de christianisme (« contre le Mal »), vont à l’encontre du dessein du Saint-Siège pour la « communauté des nations  » (Gaudium et Spes). Jean-Paul II s’est ainsi opposé aux deux guerres d’Irak : celle de 1991, parce qu’elle bafouait le principe de « proportionnalité » (le recours à la force doit être proportionnel au résultat), et celle de 2003, parce qu’il s’agissait d’une extension indue de la légitime défense (la « guerre préventive ») et d’une violation du droit international.

De plus, on ne peut pas reprocher aux responsables de l’Eglise l’immaturité politique qui fut, et qui semble malheureusement encore être, celle des dirigeants américains. Interrogé la veille de l’invasion de l’Irak en 2003, le cardinal secrétaire d’Etat Angelo Sodano confiait :
« Certains pensent que les représentants de l’Eglise sont des idéalistes. Nous le sommes, mais nous sommes aussi réalistes. Est-ce que le danger d’irriter un milliard de musulmans en vaut vraiment la peine ? C’est la question que j’aimerais poser à mes amis américains : est-ce bien ce que vous voulez ? Souhaitez-vous provoquer des décennies d’hostilités de la part du monde musulman ? »

Hélas, l’avertissement du cardinal est toujours actuel. Surfant sur la surenchère, le lobby pro-israélien parie sur une défaite de Barack Obama pour 2012 et pousse à la guerre contre l’Iran. Et bien que la communauté juive américaine soit majoritairement libérale et acquise aux démocrates, la mainmise du Premier ministre Benyamin Netanyahu sur le Parti républicain, via le courant chrétien fondamentaliste, encourage les candidats à la surenchère.

En novembre, Rick Santorum annonçait crânement que la Cisjordanie toute entière appartient à Israël et qu’il n’y avait « pas de Palestiniens  ». En décembre, Newt Gingrich [2] affirmait que les Palestiniens forment un « peuple inventé ».

Or, ce que disait Benoît XVI lors de son voyage en Terre sainte en 2009 est tout autre :« Qu’il soit universellement reconnu que l’État d’Israël a le droit d’exister et de jouir de la paix et de la sécurité au sein de frontières internationalement reconnues. Qu’il soit également reconnu que le peuple palestinien a droit à un pays souverain et indépendant, à vivre dans la dignité et à se déplacer librement. »

Voilà donc des catholiques qui affirment le contraire de la position du pape. Et que font-ils des chrétiens palestiniens ?

La seule voix différente dans ce chœur des patriotes aveuglés, manipulateurs et manipulés, est le vieux candidat libertarien Ron Paul, dont la postérité retiendra de son ultime campagne électorale le fait qu’il a brisé un tabou en politique étrangère, et au passage, humilié les « faucons de salons  » tels que Newt Gingrich et Rick Santorum.

Les cavaliers de l’Apocalypse

« Faucon de salon », notre bon « catho-tradi » Rick Santorum est également lié à Erik Prince, l’homme qui tire profit des dernières guerres américaines.

Ancien membre des forces spéciales SEAL de l’US Navy, Erik Prince est l’architecte de la mainmise par la société marchande sur la guerre et de la privatisation des affaires militaires. A la tête de sa société de mercenaires Blackwater, il remporte en 2003 un contrat de 27 millions de dollars pour la protection de Paul Bremer, « proconsul » de l’Irak occupé. La société va rapidement s’imposer comme force de sécurité irremplaçable, et en 2007, le montant total des contrats entre les Etats-Unis et Blackwater s’élève à 1,2 milliard de dollars.

Tandis que d’innombrables civils irakiens sont victimes des bavures et atrocités commises par les soudards de Blackwater, Erik Prince poursuit son sanglant business. Le sénateur Barack Obama avait bien critiqué les pratiques de la société, mais une fois au pouvoir, sa vertueuse administration charge en 2010 Xe Services (nouveau nom de Blackwater, aujourd’hui rebaptisée Academi) d’assurer la sécurité en Afghanistan pour 250 millions de dollars.

Erik Prince aida Rick Santorum pour sa réélection au Sénat en 2006, et imagina une stratégie pour faire gagner son poulain : dans le but de diviser l’électorat du candidat démocrate Bob Casey, il se mit à financer le Parti Vert de Pennsylvanie. Le pari était habile, mais la manœuvre échoua. La proximité entre notre « héros catholique » et Erik Prince va plus loin : tous deux sont des symptômes de l’alignement inquiétant des conservateurs sur les errances de la droite religieuse fondamentaliste américaine. Rick Santorum professe non seulement le créationnisme (un conflit que le pape Benoît XVI considère comme « absurde »), mais il flirte imprudemment avec le dominionisme, une théologie née à la fin des années 1980, qui ferait passer la théocratie vieillotte rêvée par certains catholiques pour un inoffensif conte pour enfants.

Venant de l’anglais dominion, domination, cette théologie fondamentaliste s’appuie sur un verset de la Bible, en Genèse 1:28 : « Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre. »

Les tenants du dominionisme souhaitent établir une société basée sur la Bible et un régime politique chrétien, qui combattrait les « agents de Satan » à l’œuvre en attendant l’apocalypse imminente. Erik Prince, bien que converti au catholicisme (il était auparavant membre d’une Eglise réformée néerlandaise), est le bailleur de fonds de la New Apostolic Reformation, une organisation protestante qui se donne pour mission de diffuser le dominionisme. Comme disait le Saint-Père, nous avons affaire à « un christianisme de faible densité institutionnelle, avec peu de bagage rationnel et encore moins de bagage dogmatique, et aussi avec peu de stabilité » [3]

Avouez que nous avons mieux à faire que de nous solidariser avec les amis d’un marchand de mort, non ? Surtout si c’est au nom de la défense de la vie.

- L’auteur remercie le journal "L’Homme nouveau" et Patrice de Plunkett pour avoir exhumé la Note doctrinale du cardinal Ratzinger.


[2Le principal mécène de la campagne de Gingrich, l’homme d’affaires Sheldon Adelson, membre de la Republican Jewish Coalition, est le propriétaire du journal gratuit israélien Israel Hayom, qui, sur les consignes de Benyamin Netanyahu, multiplie les attaques contre Barack Obama, jugé trop « mou » envers Israël.

24 janvier 2012 Bougainville

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