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Peter Marstrand, diplômé d’Oxford et de Yale, est connu au Danemark pour son livre Ny renæssance (”Nouvelle renaissance : Emploi, énergie, et idéaux dans l’Europe du XXI Siècle”). Tout en se forgeant une carrière d’investisseur aérospatial, il s’est intéressé de près à la croissante ”querelle des valeurs” à travers l’Europe.
En voici une adaptation libre.
Entretien avec Peter Marstrand, Copenhague
Historiquement, Paris est la cité des révolutions : 1789, 1848, 1968… Mais ces jours-ci, un mouvement plus neuf encore traverse la capitale et son pays : une contre-révolution.
Quelle est la cause des protestations ?
Formellement parlant, il s’agit d’une loi, désormais promulguée, autorisant le mariage entre personnes du même sexe ainsi que la possibilité pour ceux-ci d’adopter des enfants. Mais cette loi est ce que fut le suicide du jeune tunisien Mohamed Bouazizi au printemps arabe, ou le parc Taksim à un possible printemps turc : un catalysateur, pas une explication. Plus fondamentalement, il s’agit de l’identité, mise en difficulté, d’une minorité catholique assez productive économiquement, fort nombreuse, et archi-française. Mais à un niveau encore plus profond, la question posée est celle de l’identité de la France même – et, à travers elle, de l’Europe. Avec une furie presque sans précédent, s’élève cette harangue : combien de temps encore, et de manière combien plus hâtive et irréfléchie, allons nous encore pouvoir diluer une continuité occidentale millénaire, sans mettre en danger, de façon irréversible, la survie même de notre société ?
Les racines de ce nouveau mouvement sont donc très profondes ?
Et elles remontent à très loin historiquement. Mais ce qui est vraiment singulier, ce que je n’ai jamais vu ailleurs, est que ce ne sont justement pas les vieux grincheux qui hurlent. Plutôt une myriade presque inépuisable de jeunes de 17 à 30 ans, très soutenus aussi par des jeunes familles, le tout assez familier des beaux quartiers de la banlieue et de la province. Des gens qui se font gloire de payer gentiment leurs impôts, et qui jusqu’alors méprisaient militantisme et fauteurs de trouble. Mais durant tout ce printemps, ils sont descendus dans la rue, armés de leurs jolis enfants, de poussettes et de ballons roses, manif’ après manif’, par demi-millions ou plus. Maintenant ils brûlent, aux prochaines élections, de poser leur croix électorale exactement où le leur dictera un noyau bien plus idéologique, dont ils soutiennent avec chaleur les actions, non-violentes peut-être, mais insolentes, spectaculaires et vraiment sans retenue. Voilà le fameux printemps français : la rébellion des “bien élevés”, après des décennies de bile accumulée.
Quelles seront les consequences vraisemblables de cette révolte ?
Il est probable que la révolte elle-même ne mourra pas, pour la simple raison que son noyau est vraiment au dernier désespoir. Tout le monde semble convaincu que c’est maintenant ou jamais : ou bien une percée, ou bien la continuation d’un lent étouffement en tant que groupe culturel. Cela dit, ce désespoir peut prendre plusieurs voies. Une voie possible est l’escalade : encore plus de désordre, de couleur, de mise en scène. Encore plus de « sit-in » passifs : le mouvement des Veilleurs, inspiré de Gandhi mais viscéralement contre-révolutionnaire, est né il y a deux mois seulement, sorti du néant, et continue d’exploser via Twitter. C’est un phénomène énigmatique et assez dérangeant, actif à présent dans 150 villes de France. Une autre voie, plus sûre et conventionnelle, passe par les partis et élus. Jusqu’à ce jour, la Droite française était intensément divisée : d’un côté, l’UMP des bien élevés, dont les militants plutôt aisés sont devenus, à l’ébahissement de tous, ce moteur central du présent combat. De l’autre côté, les “vrais populistes” autour du Front National, dont certains cadres, en fait, se sont joints au mouvement assez tard. Soudain, ces deux rivaux se trouvent un ennemi commun. Non pas les “étrangers” – mais quelque chose d’infiniment plus vulnérable et rassembleur : les élites nationales qui, pour un nombre croissant d’électeurs en Europe, ont abandonné l’identité occidentale à son sort.
Mais pourquoi alors cette révolte est elle à peine nommée d’un mot par les medias “mainstream” danois et occidentaux ?
La barrière culturelle. En France, la politique est abrupte, théâtrale, idéologique. Ici, de plus, lestée de philosophie catholique et d’une archaïque mystique royaliste ! Une utilisation très dynamique des nouveaux media internet - en soi, tout à fait à la pointe mondiale – n’a paradoxalement que fortifié la frontière linguistique. Tout cela est conçu pour tenir notre mediasphère circonspecte et bien établie à très forte distance. En outre, de nos jours où Mai 68 ressemble de plus en plus à un dogme global, victorieux et statique - peut-on concevoir moins politiquement correct qu’un “anti-1968” ? Il est fort étonnant de voir, ce nouveau mois de mai, aussi vigoureux, dans les mêmes ruelles, mêmes boulevards ?
[1] “Det franske forår”. Mikael Jalving avec Peter Marstrand. Jyllands-Posten, Copenhague, 21 juin 2013.
http://www.jyllands-posten.dk/protected/premium/kommentar/fredagsforhoer/ECE5647375/det-franske-forar/
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