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Pr. Pichot-Bravard : Autorité du droit naturel et primauté du combat culturel (3/3)

Voici le troisième et dernier volet de notre exceptionnelle inquisitoriale du Pr. Pichot-Bravard.
Philippe Pichot-Bravard, spécialiste de l’Histoire des institutions, des idées politiques mais aussi de l’Histoire de l’Eglise, a bien voulu répondre aux questions de Corsaire, terrible administrateur du R&N.
Au programme aujourd’hui, du droit et de la métapolitique :
  • Que penser de la position du Conseil constitutionnel relativement à la loi de dénaturation du mariage ?
  • Comment résister et gagner la bataille ?

Retrouvez les deux premiers volets de l’inquisitoriale, ici et .

Corsaire : Après avoir évoqué le droit naturel et la philosophie juridique, examinons de plus près le système normatif actuel, et notamment les normes constitutionnelles, situées au sommet de la pyramide de Kelsen. Comment analysez-vous le blanc-seing donné par le Conseil constitutionnel à la loi de dénaturation du mariage ? Faut-il y voir une décision politique ? La solution serait-elle d’inscrire la famille traditionnelle au cœur de notre Constitution ?

Pr. Pichot-Bravard  : L’existence d’un conseil constitutionnel est en soi nécessaire à l’équilibre des institutions. Sa création, en 1958, fut l’un des aspects les plus intéressants de la Constitution de la Ve République. L’extension jurisprudentielle de son contrôle, en 1971, au « bloc de constitutionnalité » était nécessaire. L’extension de sa saisine, par les réformes de 1974 et de 2008, fut une excellente chose.

Cependant, ce conseil présente encore deux défauts majeurs, qui n’ont pas manqué d’entacher la décision qu’il a rendue à propos de la loi Taubira :
D’une part, il est le gardien d’un « bloc de constitutionnalité » constitué principalement de la constitution de 1958, du préambule de la constitution de 1946 et de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Or aucun de ces textes ne fait référence aux principes du droit naturel et à la nécessaire soumission du droit positif à ce droit naturel.
Il est donc urgent de remédier à cette lacune en modifiant le préambule de la Constitution pour y intégrer la reconnaissance de l’autorité du droit naturel.
En faisant référence à une tradition juridique occidentale plurimillénaire, il serait nécessaire, compte tenu des mentalités actuelles, de préciser les implications concrètes de ce droit naturel, à savoir le respect de toute vie humaine, depuis la conception jusqu’à la mort naturelle, le respect de la dignité et de la liberté individuelle des personnes, la reconnaissance de la famille reposant sur le mariage entre un homme et une femme, le droit des parents de choisir l’éducation de leurs enfants, le droit de propriété, le règne de la justice qui consiste à donner à chacun la part qui lui revient, la juste part, notamment dans les relations de travail, l’existence de hiérarchies sociales impliquant pour ceux qui assument des responsabilités un surcroît de devoirs.

D’autre part, le conseil constitutionnel est une juridiction constituée de personnalités politiques nommées par trois personnalités politiques, le président de la République, le Président du Sénat et le Président de l’Assemblée, elles-mêmes tributaires des forces qui leur ont permis d’accéder à ces hautes fonctions. Si nous voulons que le conseil constitutionnel accomplisse convenablement ses fonctions il faut qu’il soit composé de personnalités indépendantes désignées par une autorité indépendante.

Corsaire : Enfin, vous animez un libre journal sur Radio Courtoisie. Partagez-vous notre conviction selon laquelle la victoire de demain se prépare par la ré-information et la reconquête intellectuelle ?

Pr. Pichot-Bravard  : L’action politique doit être nourrie par une vie spirituelle exigeante et par un travail régulier de formation intellectuelle et culturelle.
Nos adversaires révolutionnaires, et notamment marxistes, ou marxisants, ont parfaitement compris le rôle essentiel de la culture dans le combat politique. La grande faute des libéraux a été d’abandonner la culture à leurs adversaires pour se concentrer sur l’action économique.

La reconquête politique implique une entreprise de reconquête culturelle, comme l’a illustré Philippe de Villiers en Vendée, le seul département de l’Ouest de la France où la droite a renforcé ses positions entre 1990 et 2010. Ceci ouvre d’ailleurs à ceux qui brûlent de s’engager en politique un champ d’action beaucoup plus vaste qu’ils ne l’imaginent. L’action politique ne se résume pas à la vie électorale, qui peut fort bien n’être qu’une perte de temps. Elle peut consister à organiser un cycle de formation, ou simplement à y participer. Elle peut consister à animer une émission de radio, une revue ou un site, comme vous le faites.
Elle peut consister à restaurer et à mettre en valeur une chapelle ou un monument menacé de ruines, à l’instar de Reynald Sécher à La Chapelle Basse-Mer.
Elle peut consister à créer, ou à faire vivre une école vraiment libre. Elle peut consister à animer une association ou un mouvement de jeunesse. Elle peut consister à participer à des manifestations, comme le font aujourd’hui les « Hommen ».
Il y a bien des façons de combattre. Notre monde contemporain réduit l’action politique à l’empoignade partisane. Il faut se garder de tomber dans ce piège. Rappelons-le : la politique consiste dans le service du bien commun. Sans doute ce service implique, à un moment ou à l’autre, la conquête du pouvoir, mais cette conquête, pour être effective, efficace et durable, exige d’abord une conquête des intelligences. Elle exige de transmettre des valeurs et des connaissances, de batailler sans concession contre la « novlangue » de la pensée officielle, contre les mensonges de la désinformation, de réhabituer les oreilles de nos compatriotes à entendre un discours traditionnel afin de les amener d’abord à considérer que ce discours fait partie des choix possibles, avant de les convaincre que ce choix est le meilleur pour la restauration de la France.

Tous nos remerciements au professeur Pichot-Bravard, qui a bien voulu nous consacrer un peu de son temps afin de répondre de manière détaillée à nos questions.

Le Rouge et le Noir ne saurait que vous recommander la lecture des ouvrages écrits par M. Pichot-Bravard, et notamment sa thèse magistrale consacrée aux normes constitutionnelles de la France d’Ancien Régime. Toujours dans le domaine du droit, son Histoire constitutionnelle des Parlements de l’ancienne France devrait ravir juristes et profanes. Enfin, les amoureux d’Histoire et de politique trouveront leur compte dans l’étude du Pr. Pichot-Bravard dédiée au dilemme des catholiques français sous le Second Empire : Le Pape ou l’Empereur : les catholiques et Napoléon III.
A noter qu’une Histoire de la Révolution française, du Pr. Pichot-Bravard, paraitra à la rentrée chez Via Romana.

Bonne lecture, et que Dieu vous garde !

Corsaire

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