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Philippe Vardon 1/2 : Qui sont les identitaires ?

Philippe Vardon a 32 ans, il est marié et père de famille. Commerçant et conseiller en communication, il est titulaire d’un DESS de science-politique. Il est l’un des fondateurs des Jeunesses Identitaires en 2002 et leur premier porte-parole, avant de fonder Nissa Rebela sur Nice pour participer aux élections locales (où il rassemble 4 à 8% des électeurs selon les scrutins). Il est également président de l’association Les Identitaires qui est leur "laboratoire idéologique" (formation, réflexion, édition, organisation de colloques)

Carol Ardent : Qui sont réellement les identitaires ?

Philippe Vardon : Les identitaires sont ces étranges personnages qui considèrent que l’identité, les identités, des peuples doivent être préservées face au rouleau-compresseur de l’uniformisation. Nous pensons en effet que ce qui fait la beauté du monde c’est sa polyphonie, et que l’identité, les traditions, l’enracinement sont porteurs de bonheur, d’équilibre et d’harmonie pour les sociétés là où le multiculturalisme forcé se termine souvent dans l’affrontement de tous contre tous et le chaos. Les fantasmes de sociétés dites multiraciales se terminent toujours en cauchemars multiracistes… Alors que l’on parle du Grand Remplacement (de population, à travers l’immigration massive et incontrôlée depuis les années 70) théorisé par l’écrivain Renaud Camus, ou de globalisation économique et culturelle, nous préférons nous draper de nos étendards protecteurs (nos provinces, notre patrie, notre civilisation) affirmant que l’identité n’est pas le passé, mais tout au contraire ce qui ne passe pas.

Les identitaires existent de manière formelle depuis 2002, à travers plusieurs formations politiques et un dense tissu associatif (social, culturel, sportif, artistique, communautaire). Nous travaillons selon une logique de réseau, avec la volonté de pousser à l’initiative et d’imprégner tous les secteurs de la société. C’est pourquoi nous n’hésitons pas à mettre en avant des structures relais, dédiées à une question précise et permettant l’engagement par capillarité et centres d’intérêt. Notre idée est que chacun peut avoir son rôle à jouer, sans forcément avoir envie de s’impliquer dans un appareil politique classique. Nous pensons aussi que la spécialisation est nécessaire et salutaire, et ainsi par exemple les jeunes identitaires de Génération Identitaire (qui ont notamment fait parler d’eux à travers l’occupation du toit de la mosquée de Poitiers) ont leur autonomie d’action toute entière, selon l’adage « la jeunesse commande à la jeunesse ». Suivant les préceptes du vieux chef Baden-Powell (qui ont, je crois, fait leurs preuves), nous pensons en effet qu’il est sain – notamment pour former les cadres de demain, mais aussi pour créer une logique de solidarité générationnelle accrue entre les militants – que les jeunes militants fassent leurs expériences et leur apprentissage. Toutes les composantes du mouvement travaillent en synergie, mais ont leur calendrier, leur équipe d’animation, in fine leur logique propre. Nous nous démarquons donc beaucoup des logiques partisanes strictement verticales, même si nous avons aussi des organes plus directement politiques comme le Bloc Identitaire ou encore le mouvement électoral local Nissa Rebela (« Nice la rebelle » en niçois) que je dirige.

Sur le plan sociologique, même si l’on peut croiser chez nous des militants de tous les âges, il existe une dimension générationnelle que l’on ne peut nier (et dont le formidable élan d’opposition à la loi Taubira vient de nous apporter une nouvelle confirmation) avec des militants assez jeunes et des cadres ayant majoritairement entre 30 et 40 ans. Socialement, ces jeunes sont plutôt issus des couches populaires et des classes moyennes, et on retrouve tout autant de jeunes travailleurs que d’étudiants ce qui est, je crois, assez original dans le spectre politique français. Notre style, nos méthodes, notre discours très clair quant aux questions de l’immigration massive et de l’islamisation, et une dimension presque clanique assumée face à la racaille, expliquent ce potentiel de séduction envers la jeunesse.

Concernant l’aspect religieux qui, je crois, vous intéresse quelque peu, je suis pour ma part catholique et pratiquant. Mais mon parcours ressemble à celui de beaucoup de jeunes identitaires : « petit blanc » de cité HLM, je ne suis pas issu d’une famille pratiquante et mon éveil au christianisme s’est fait assez tard à travers le scoutisme. Je m’en suis éloigné ensuite pendant quelques années, renouant avec l’Eglise dans le cadre d’un cheminement identitaire (ce que j’appelle « la Reconquête intérieure ») dont je considère que c’est une sorte d’aboutissement, ou en tout cas de suite logique. Redécouvrant pas à pas mon identité dans une société qui nous veut tout aussi déraciné et atomisé que possible, je crois que j’ai fait acte de cohérence en retrouvant le catholicisme.

A travers mon expérience personnelle, j’ai déjà en partie répondu à votre question concernant le mouvement identitaire en tant que tel. La question n’est pas à mes yeux de savoir si les militants sont croyants, ou pratiquants, mais – nous plaçant sur le terrain politique – de savoir si pour les identitaires le catholicisme est constitutif de l’identité de la France et le christianisme de l’identité de l’Europe : la réponse est oui. Des sensibilités personnelles peuvent faire que l’on y accorde une place plus ou moins centrale dans notre engagement, mais cela fait partie de notre « corpus ». Dans le cadre de notre opposition au Traité Constitutionnel Européen nous avions d’ailleurs mis en avant l’absence de définition de ce qu’était l’Europe (qui est à nos yeux bien autre chose qu’un marché…) et notamment l’absence de référence aux racines chrétiennes de notre civilisation.

Carol Ardent : Quels sont vos modèles intellectuels ?

Tout d’abord, je tiens à préciser que les identitaires s’efforcent de ne pas être trop « idéologues » et de s’enfermer dans des dogmes figés. Pragmatiques, empiriques – mais bien sûr guidées par un idéal et une vision du monde – nous ne sommes pas de ceux qui refusent le réel et tentent de le tordre jusqu’à le faire rentrer dans leur grille de lecture… Nous avons d’ailleurs à travers la gauche actuellement un bel exemple de cette logique mortifère, poussée à son paroxysme puisqu’on en vient à nous expliquer que le modèle familial simplement inspiré de la nature serait un modèle « imposé ».

Ainsi, chez nous, pas de vérité absolue et révélée en politique mais plutôt un idéal, un cadre, une vision du monde articulée selon notre « plus longue mémoire ». Sur le plan intellectuel, nos premiers pas ont été tributaires des différents héritages amenés dans le panier commun par les fondateurs des identitaires en 2002. Venant du nationalisme-révolutionnaire, de l’école maurrassienne, des luttes régionalistes, de l’écologie radicale, et même de l’ultra-gauche, ces militants politiques aux parcours divers partageaient tous le même rejet du système dominant : le dégoût du matérialisme et du consumérisme, l’opposition à l’indifférenciation des peuples fondus dans un « village mondial », la dénonciation de la non-représentativité du système électoral français et la confiscation de la démocratie par des oligarchies (technocratiques, financières, médiatiques), le refus du prêt-à-penser et du terrorisme intellectuel, l’hostilité à l’impérialisme nord-américain et à l’immigration massive et l’islamisation qui en découle.

Peu à peu, avec l’afflux et l’apport de nouveaux militants et nouveaux cadres (qui pour beaucoup n’ont jamais eu d’autres engagements que parmi les identitaires), le cadre s’est à la fois élargi et précisé et on pourrait le résumer – sous forme de slogan – ainsi : Identité, Démocratie, Localisme. L’identité comme rassemblement et protection des peuples, la promotion de la démocratie réelle (locale, participative, directe) face à une « démocratie » représentative totalement dénaturée, le localisme (couplé au protectionnisme, et donc à la réhabilitation de la notion de frontière) comme réponse aux conséquences économiques, sociales, humaines de la mondialisation.

Pour vous répondre et énumérer – en vrac et dans le désordre – quelques influences intellectuelles (pouvant se situer sur le plan politique, éthique ou esthétique) citons Homère, Bernanos, Chesterton, Maurras, les Hussards ou encore Vincenot. En plus contemporain évoquons Jean Cau, Philippe Muray et les travaux de Dominique Venner, Serge Latouche, Jean-Claude Michéa ou Aymeric Chauprade.

A côté (ou au-dessus plutôt) de ces écrivains ou penseurs, nous pouvons évoquer des « figures de force », des porteurs de volonté, héros historiques s’inscrivant désormais dans un cadre quasi-mythologique : le roi Léonidas, Charles Martel, Don Juan d’Autriche, les chefs vendéens et chouans.

Parlant d’un modèle d’homme enfin, j’aimerais évoquer la figure tutélaire du révolutionnaire irlandais (héros et martyr de l’insurrection de Dublin en 1916) Patrick Pearse. Il sut se faire tour à tour poète (participant au renouveau de la langue gaélique), éducateur (comme directeur de l’école Saint Enda), militant et guerrier en mourant exécuté par les troupes britanniques après l’échec de la révolte. Il fut l’éphémère président de la République d’Irlande proclamé pendant les combats, et si l’insurrection de 1916 fut un échec elle lança le signal de la lutte contre l’oppression. Seulement six ans plus tard, l’Etat Libre d’Irlande était proclamé ! N’avait-il pas lui-même écrit « De la mort jaillit la vie tout comme des tombes des grands patriotes jaillit une grande nation. » ?

Pearse est le parfait exemple de la jonction entre différentes formes de lutte (incarnées, fait rare, en une seule personne) et d’une vie toute entière dédiée à un idéal.

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