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Ivan Rioufol répond au R&N : « Il faut que les journalistes descendent du balcon »

1er avril 2012 Jean Herbottin

L’effroyable Paysan breton a interrogé vendredi 23 mars dernier Ivan Rioufol dans les locaux du Figaro. Journaliste, éditorialiste au Figaro, il tient le "Bloc notes" qui paraît chaque vendredi. Conservateur, il défend une vision libérale de la politique, tout en s’affirmant "réactionnaire". Son dernier ouvrage, De l’urgence d’être réactionnaire, est paru en 2012 chez PUF.

INQUISITORIALE

Paysan breton : Bonjour Ivan Rioufol. Ma première question portera sur le titre de votre ouvrage « de l’urgence d’être réactionnaire ». Or, ce qualificatif est distribué avec largesse de nos jours, tantôt autoproclamé, tantôt rejeté. Qu’entendez-vous avec ce mot, et pourquoi faut-il être réactionnaire ?

Ivan Rioufol : Il faut être réactionnaire, parce qu’il faut réagir. Et j’ai pris comme définition celle qui se trouve dans un gros Larousse illustré que m’avait légué mon père, daté de 1923. Au mot « réactionnaire », ce dictionnaire ne donne qu’une seule définition : « Est réactionnaire celui qui prête son concours à une réaction politique ». Elle m’a bien plu, car j’avais dans l’idée, en faisant ce livre, de répondre à cette accusation qui m’était faite d’être « réactionnaire ». Je dois dire par ailleurs que dans le fond, je ne m’y reconnaissais qu’à moitié : D’une part, je suis réactionnaire, parce que je n’adhère pas au conformisme du temps, je suis réactionnaire, car je rame à contre-courant, comme beaucoup d’autres, et notamment comme les catholiques. Mais en même temps, je ne me sentais pas spécifiquement passéiste ni nostalgique de l’Ancien Régime. Donc, pour moi, le réactionnaire, c’est celui qui n’accepte pas ce lent déclin de notre civilisation, de la France, si on veut bien regarder tout ce qui s’effondre autour de nous. Le réactionnaire est celui qui n’accepte pas d’adhérer à ce conformisme et à cette pensée unique, qui nous fait croire que tout va bien.

Pour moi, le réactionnaire, c’est celui qui dit « non ». C’est celui qui résiste et qui sera le progressiste de demain. J’essaie de soutenir ce paradoxe : le progressiste du XXIe siècle sera un réactionnaire. D’autant que l’on remarque que les progressistes autoproclamés, les socialistes, sont devenus le camp de plus conservateur, puisqu’il s’accroche à un monde dépassé, tentant de faire renaître un modèle social qui tombe en botte, et qui ne peut pas se confronter à l’échec de la société multiculturelle.

Paysan breton : Les événements de Toulouse et de Montauban sont de ce point de vue un rappel à la réalité. Les manifestations ayant suivi cette tuerie abominable partaient du principe qu’il s’agissait d’un crime perpétré par l’extrême droite, et porté par une atmosphère créée par le gouvernement. Ainsi, nous avons pu lire des banderoles : « en France, on tue des arabes, des noirs et des juifs », pour finalement être placés devant le scénario du djihadiste.

Ivan Rioufol : Pas de chance !

Paysan breton : C’est d’ailleurs ce que laisse penser ce tweet d’un journaliste du nouvel observateur, peut-être apocryphe, tant c’est grotesque : « Dégoûté que ce ne soit pas un facho ». Et Julien Dray d’ajouter qu’en matière de communautarisme, la droite avait sa part. N’y aurait-il pas une confirmation, même si en la matière il y a quelque indécence à polémiquer, que le multiculturalisme serait un échec de par sa nature même ?

Ivan Rioufol : Bien sûr. Nous vivons en direct l’échec du multiculturalisme. Et dans le fond, Julien Dray a raison. Ce multiculturalisme a été porté par la gauche. C’est là même son enfant, qui fut par ailleurs cautionné par la droite. Il faut se rendre à l’évidence : il y a eu un grand endormissement de toute la classe politique et médiatique face à ce non-pensé.

Quand j’écris un livre sur les réactionnaires, c’est justement pour dire que c’est au cœur de la société civile, du peuple français, qu’il faut en appeler, car c’est ce peuple français qui vit comme une blessure ce multiculturalisme. C’est ce peuple français qui voit sa propre culture progressivement s’effacer au profit de cultures extra-européennes, face auxquelles la culture française est priée de se pousser au bout du banc. Le peuple lui-même est devenu de fait le meilleur expert de ces bouleversements de la société. Nous sommes un pays qui a 1500 ans d’âge, imprégné d’une tradition judéo-chrétienne : il suffit de voir nos noms de rues, nos monuments ou nos habitudes de vie. Naturellement, les français le vivent, le comprennent. Il y a une sorte de mémoire collective de ce que nous sommes, même si la transmission de tous ces héritages se fait de plus en plus mal. Mon livre est optimiste : il dit qu’il faut se replonger au cœur même de la société civile, ce que les élites appellent le « populisme », nom très connoté, afin que la France, si elle ne veut pas disparaître, retrouve ses fondamentaux, notamment culturels.

Mais pour revenir à Toulouse, l’idée initiale selon laquelle cette barbarie ne pouvait être portée que par des gens d’extrême droite, et l’empressement mis par les mouvements antiracistes, par Bernard Henri-Lévy, qui a parlé des « pyromanes de l’identité nationale », et de détourner le regard, est très révélateur de l’aveuglement qui depuis 30 ans perdure sur la survenue d’un Islam radical, d’un islam violent qui est en train de subvertir l’espace public et les esprits. Car souvenez-vous que depuis les attentats contre la synagogue de la rue Copernic, de la rue des Rosiers, le meurtre d’Ilan Halimi, il y a eu ce même phénomène de nous faire croire que ces événements étaient dus à des esprits fascisants. Or, il n’en fut rien, et cela pose le problème de l’honnêteté intellectuelle de cette intelligentsia qui fait la morale publique depuis trente ans.

Paysan breton : Si nous revenons sur le caractère chrétien de notre société, nous serions tentés de dire, au vu de la société contemporaine, comme le disait déjà Chesterton, que le monde est rempli de valeurs chrétiennes devenues folles. En effet, pour rentrer dans ce monde naïf, les dogmes et la pensée chrétiens ont été vidées de leurs substances, pour n’être plus que des « valeurs », la charité étant devenue la solidarité, j’en passe. Sur le plan plus politique, on voit que tout est lié à une dérive libérale au sens social du terme, la droite faisant finalement un véritable aveu d’échec face à l’hégémonie libertarienne proposée par la gauche. Finalement, cela revient à entrer dans ce tout « festif et citoyen » décrit par Philippe Muray. Aujourd’hui, la droite, en renonçant au conservatisme, n’a-t-elle pas plutôt consacré la victoire de la gauche ?

Ivan Rioufol : Je ne vois pas le libéralisme comme un épouvantail, comme vous. J’ai été formé par le libéralisme littéraire, je prétends être un héritier très lointain de Tocqueville et de Montesquieu. Donc pour moi, le libéralisme intellectuel rejoint le libéralisme économique. Pour moi, il n’y a pas d’insulte à être un humaniste libéral, qui veut simplement que l’État reste à sa place, et qu’il ne prenne pas plus que sa place. En revanche, je constate qu’au-delà de toutes les crises que nous vivons, crise économique, de l’éducation ou de l’identité nationale, la crise la plus grave est bien la crise de l’intelligence, parce que, notamment à cause de cette asphyxie de la pensée qui était causée par le politiquement correct et la pensée unique, nous n’avons plus les penseurs qui avaient fait qu’en 1789 une réflexion de ce que pouvait être la société fût possible. Ces penseurs éclairaient le monde entier. Aujourd’hui, les français les plus connus de par le monde, ce sont les DJ. Ce sont eux qui donnent une idée du champ de ruines intellectuel dans lequel nous vivons. Il faut se débattre avec cela. Et c’est ce manque de curiosité qui produit ce grand vide intellectuel, ce renoncement à être ce que nous étions, cette manière que nous avons à tourner le dos à ce qui faisait l’essence même de notre culture, à savoir une nation littéraire, à une manière de provoquer des idées nouvelles. Nous n’arrivons plus à provoquer ces idées nouvelles. Ce grand vide, cette absence de réflexion m’effraie énormément, car elle peut nous conduire à toutes les barbaries, s’il n’y a pas cet élémentaire sursaut. Et je persiste à dire, et c’est ma théorie, que cet élémentaire sursaut, tout mon livre est basé là-dessus, il reste dans la société française, dans ce peuple des invisibles, des « indignés ». Autant je déteste le livre de Stéphane Hessel, autant je trouve que son titre est formidable. L’indignation qui se mesure dans la société civile est le résultat de cette faillite intellectuelle des élites et de nos représentants.

Aujourd’hui, je pense que nous pallierons cette absence d’intelligence au moins en renouant avec le bon sens élémentaire. Nous n’avons plus d’éclaireurs élémentaires, ni dans la religion, ni chez les intellectuels, mais il nous reste, Dieu merci, un éternel bon sens, une élémentaire volonté de survie qui reste dans la société française. C’est pour cela qu’il y a une urgence. Cela aussi peut s’effacer assez vite. Cela fait 30 ou 40 ans que la transmission ne se fait plus, et nous pouvons imaginer que dans deux ou trois générations, le tableau noir aura été effacé…

Il s’agit donc de retrouver ce besoin qu’ont les peuples de reprendre leurs destinées en main, et à comprendre que depuis 30 ans, les politiques inspirées par des idéologies s’effondrent, et ne provoquent qu’une succession de brutalités. J’entends par là que l’État providence, formidable après-guerre, ne produit plus qu’une succession de paupérisations, que l’État multiculturel, qui devait enrichir les cultures, au contraire, les réduit à leur plus petit dénominateur commun, c’est-à-dire à rien du tout. De fait, je pense que nous sommes sommés par les faits eux-mêmes à répondre à des urgences. La religion est devenue incapable de le faire, nos élites également, c’est pour cela qu’il faut se tourner vers ce peuple raisonnable. J’ai toujours à l’esprit ce qui s’est passé en Union Soviétique, où, après 70 ans de musèlement, on a vu ressurgir un peuple qui avait conservé ses convictions religieuses, qui renoue avec un passé et avec son Histoire. Ces peuples ont réussi à survivre au pilonnage d’une non-pensée qui n’avait rien à voir au conformisme que l’on connaît. Je suis donc optimiste, je crois aux miracles, je crois à la Résurrection, mon fond catholique m’y fait encore croire. Résurrection de la société, et de l’Église elle-même, qui est en mauvaise passe.

Paysan breton : Mais en la matière, le monde scolaire voit un affaissement devenu déjà critique. Il suffit de voir la chute des exigences en une dizaine d’années pour s’en convaincre. Que ce soit l’orthographe ou la culture qui s’effondre : Ce n’est plus même la peine de parler de Bossuet à des enfants de quatrième…

Ivan Rioufol : C’est précisément pour cela qu’il y a une urgence. Cette urgence est comprise par une partie du corps enseignant. Je refuse de croire que le corps enseignant souscrive à ce qui se passe. Je reçois beaucoup de professeurs qui s’affolent précisément de cet état de déculturation. Ce souci de réagir, cet esprit réactionnaire existe prioritairement chez les premières victimes, c’est-à-dire les élèves et leurs professeurs. J’observe qu’au cœur même de cette jeunesse-là, qui a une conscience du peu d’égard qu’on a pu leur porter en ne leur transmettant pas les joyaux de la culture occidentale, il y a une curiosité de découvrir par elle-même. De même, chez les professeurs, il y a un affolement face à l’état dans lequel a été laissée l’école. Je pense que tout n’est pas perdu, bien que la grande masse soit vouée à avoir une culture utilitaire et internationale, où l’usage de l’anglais sera plus important que l’usage même du français. Mais je pense qu’une société peut renaître si elle arrive à recréer une sorte « d’élite » d’elle-même. Or, c’est en ce moment l’élite elle-même qui est pervertie par la déculturation. C’est peut-être mon optimisme béat qui me fait dire ça, mais je pense qu’on peut remonter cette pente fatale qui ferait que nous serions amenés à devenir un peuple amnésique en essayant de se focaliser sur un « noyau-dur » de jeunes étudiants et de professeurs qui garderaient cette petite flamme dans l’espoir de la transmettre.

Paysan breton : Mais en ce sens-là, l’offre politique étant ce qu’elle est, et, par une idéologie de nivellement, reproduisant plus encore les inégalités, puisque seules les personnes ayant un accès privilégié à la culture peuvent se sortir de ce bouillon d’inculture. Mais ces derniers temps, avec l’arrivée de la théorie du genre, théorie fumeuse érigée en vérité, ou encore l’affaissement du niveau d’Histoire, comment peut-on rester optimiste ? Ce « noyau-dur » résistera-t-il aux mâchoires de la médiocrité ?

Ivan Rioufol : Évidemment, il est plus facile d’être pessimiste qu’optimiste aussitôt que l’on aborde les questions d’éducation. Mais j’essaie de ne pas sombrer dans ce pessimisme, sinon, on ne fait plus rien. Je ne fais aucune confiance aux initiatives des hommes politiques, qui ne comprennent rien à ce qui se passe aujourd’hui. Tant qu’ils n’auront pas pris la mesure de ce désastre, tant qu’on n’aura pas atteint le « fond ». Bien qu’il me semble atteint depuis longtemps, nous ne pourrons pas mettre en place une politique adéquate.

Or, je suis un libéral, et je crois beaucoup aux énergies individuelles. Je pense beaucoup à la constitution d’une école privée qui opèrerait cette transmission de ce que nous sommes, à savoir la littérature, l’Histoire… Je pense que nous allons assister à l’éclosion de ces initiatives, avant que l’État ne se rende compte que ces réactions sont attendues par nombre d’élèves et de parents. Je fais le pari que c’est ce retour vers une école très réactionnaire, par une sorte de retour de balancier, qui renouvellera une école plus élitiste. C’est du moins ce que j’espère. Après, je suis assez mal à l’aise pour parler de cela, car nous sortons un peu des réalités pour tracer des lignes dans le ciel.

Paysan breton : Quittons le terrain de l’école pour aborder un sujet tout aussi sensible qu’est la place de la Religion en France, et la question de la laïcité. Nous avons vu l’automne dernier des manifestations de nombreux catholiques suite à des pièces blasphématoires. Les débats, au sein de l’Église elle-même étaient assez vifs, et beaucoup ont reproché aux évêques de n’avoir quasiment rien dit, hormis quelques notables exceptions. Beaucoup s’étaient émus de cette « irruption » du religieux dans la sphère publique, allant même jusqu’à dire très sérieusement que l’Église bâillonnait les artistes. En ce qui vous concerne, vous qui vous décrivez comme libéral, comme voyez-vous la laïcité ? Est-ce l’affranchissement de la sphère public du fait religieux, ou au contraire la libre participation des cultes au débat public, c’est-à-dire cette « laïcité positive » prônée par le président Sarkozy ?

Ivan Rioufol : Je suis favorable à la conception d’une laïcité positive, c’est-à-dire une laïcité qui laisse à la pensée religieuse sa place dans le discours public, principalement pour répondre à cette absence d’intelligence et de réflexion sur ce que nous sommes. Il y a de fait de la place à prendre par les religions. Je reste un laïc, malgré tout. Je suis un catholique non pratiquant. Mais je pense que le discours religieux est nécessaire sur les questions de société, et je regrette que les Églises ne prennent pas suffisamment position, ou alors c’est dans des postures angéliques. Mais, sur les questions qui nous concernent, j’aimerais pouvoir confronter des discours politiques avec celui que pourraient apporter les catholiques, les musulmans ou les juifs. Pour moi, la laïcité, c’est préserver le domaine public de toutes les subversions temporelles possibles des religions, bien que cela concerne, selon moi, davantage l’Islam que la religion catholique, qui a accepté depuis très longtemps cette séparation des pouvoirs. Mais je pense, tout en respectant cette séparation, que l’on puisse avoir un éclairage qui serait le bienvenu, et qu’on ne voit pas venir. Je trouve les évêques ne profitent pas beaucoup de cette invitation. En tout cas, il y a véritablement un manque de la part des français, qui désirent entendre autre chose que les avis des sportifs, des animateurs de télévision, ou je ne sais quoi, sur ce qui nous concerne au premier chef.

Paysan breton : Donc, selon vous, il faudrait que nos évêques prennent en charge un rôle plus politique, qu’ils « sortent de leurs sacristies », pourrions-nous dire ?

Ivan Rioufol : Cela ne me dérangerait pas, tout à fait. Je suis de ceux qui sont accablés par la mollesse de l’Église. Je suis de ceux qui délaissent l’Église pas simplement à cause de leurs évêques, mais à cause surtout de leurs curés. En effet, ce discours émollient que l’on peut entendre à la messe me fait fuir. Je ne vais sans doute pas dans les bonnes églises... Mais pour l’instant, je suis dans cette habitude de pensée, et je ne supporte pas ces prêches à l’eau de rose, qui m’ont fait voir l’Église telle que je l’abominais, c’est-à-dire une Église prête à toutes les lâchetés pour obtenir sa tranquillité.

Je pense qu’aujourd’hui, nous sommes dans un monde de combat. Nous avons des signes de guerre civile qui apparaissent, par des tensions ethnico-religieuses qui forcent chacun à se réveiller. Je suis de fait accablé de voir les évêques notamment poursuivre leur « prêchi-prêcha » en tendant l’autre joue. Il faut effectivement qu’il y ait une sorte de réaction au sein même de l’Église. Je connais certains curés qui pensent comme moi, mais ceux-ci ont été relégués dans de petits bourgs, ont été exilés, et n’ont plus de paroisses. Au sein de l’Église elle-même, il y a un politiquement correct oppressant.

Paysan breton : Sans compter que cela participe d’une erreur faite par nombre de chrétiens, qui bornent le Christianisme à une religion de valeurs, en rejetant systématiquement le dogme. Or, une valeur est facilement contournable. Passons sur la forme, le chant grégorien ayant été remplacé par des chansonnettes à peine dignes des plus mauvaises comédies musicales, mais il est vrai que le fond se borne bien souvent, comme le critiquait d’ailleurs le Saint-Père, à des exercices de bons sentiments très plats, plutôt qu’à être un véritable phare dans une société qui a besoin de stabilité.

Ivan Rioufol : Bien sûr ! Sans compter que Jésus n’était pas ça. Jésus était un réactionnaire. Il n’était pas si doux que ça : Quand il envoyait balader les marchands du Temple, par exemple. Ce n’était pas un petit père tranquille planqué dans sa paroisse en train de se tourner les pouces. Il encourageait à une certaine radicalité. Moi, j’aime ce Christ-là, et je ne reconnais pas du tout cela dans l’Église actuelle. On veut faire de Jésus un homme de paix, ce qu’il est, naturellement, mais c’était aussi un homme de combat, et je préfère les hommes de combat aux hommes de paix cherchant la paix par les compromis, et donc par les compromissions. Ce que Jésus ne fit jamais.

Paysan breton : Passons maintenant à la problématique de la liberté d’expression. Cette maison fut touchée par ce que d’aucuns appellent des « procès en sorcellerie ». Nous avons en mémoire l’affaire Zemmour. Aujourd’hui, le racisme revient à l’excommunication d’autrefois. Or, ce système bien rodé qualifie toute idée qui l’effraie de « dérapage », ou encore de « populiste ». N’avez-vous pas peur qu’il soit à l’avenir impossible d’exprimer ces opinions « réactionnaires » ?

Ivan Rioufol : Je suis moins inquiet là-dessus. L’idéologie antiraciste est arrivée au bout de sa démonstration et montre elle-même, d’abord par ses propres aveuglements, qu’elle s’est mise au service d’intérêts qui ne sont pas l’intérêt général. Prenons par exemple les événements de Toulouse : ces mouvements ont tout fait pour détourner le regard. Mais déjà, en 2000, tous les mouvements antiracistes n’ont pas voulu voir la flambée antijuive des cités, liée au lancement de la deuxième Intifada, et qui ne veulent pas voir à quel point les nouvelles communautés sont minées par un racisme antijuif, parfois dicté par leur propre religion : les appels à tuer les juifs dans le Coran sont multiples. Mais il existe également, plus généralement, un racisme antifrançais. De fait, ces associations se moquent du monde.

Je crois que l’opinion n’est pas dupe du double langage de ces associations, sous la coupe de minorités tyranniques, et de fait en portant gravement atteinte à ce qui est un des biens les plus précieux de notre démocratie, qui est la liberté d’expression. Il est vrai que c’est sous leur influence qu’ont été dictées un certain nombre de lois liberticides, et qui ont dénaturé les délits pénaux. Un délit pénal, c’est d’ordinaire un acte en corrélation avec un préjudice, alors que ces nouveaux délits sanctionnent des pensées, voire même de « mauvaises pensées ». Je pense en l’occurrence aux lois Gayssot, aux lois Taubira, toutes ces lois mémorielles et liberticides, qui sont vécues comme étant insupportables à des français qui, comme moi, sont très attachés à la liberté d’expression.

Le procès Zemmour a été indigne d’une démocratie. On a vu qu’un journaliste pouvait être condamné par un tribunal pour avoir décrit une réalité. Et heureusement, mon confrère a été bien défendu, en tout cas à droite, puisqu’il a été reçu à l’UMP. Mais, en même temps, je remarque que cette bêtise intellectuelle persiste même à droite, puisque Christian Vanneste a été la cible d’une polémique incroyable par rapport à ses propos sur la déportation d’homosexuels par le régime de Vichy. Ce qu’il rappelait était avéré, mais pour avoir violé, pour avoir blasphémé contre une contrevérité assénée par les associations homosexuelles, il a été lâché par son propre parti. Et ça, c’est une honte rédhibitoire, qui pèsera lourd à l’UMP. C’est insensé que l’on puisse arriver à ce degré d’intolérance et de sottise de la part d’un parti majoritaire qui est historiquement lié, malgré tout, à la pensée libérale.

Paysan breton : Sur les lois mémorielles, il est vrai qu’elles pleuvent, et que l’idéologie de la repentance est toujours présente, malgré les déclarations du président Sarkozy. Finalement, la droite a un discours critique sur la repentance, mais défendre, et voter des lois qu’elle devrait condamner avec véhémence.

Ivan Rioufol : Oui, vous êtes en train de me dire que la droite n’est pas courageuse, mais hélas, ça n’est pas une découverte. Malheureusement, elle n’est pas courageuse là-dessus, comme sur le reste. Je suis de ceux qui sont frustrés de ces cinq ans de Sarkozysme. Ceux qui avaient pensé qu’il allait appliquer une partie de son discours de rupture ont été déçus. En fait de rupture, il s’est maintenu dans cette espèce de pensée molle, et notamment cette manière de se retrancher dans ces jugements diaboliques contre les pensées dissidentes.

Paysan breton : Mais vous qui parliez de sursaut d’un peuple, non pas bien-pensant, mais raisonnable, comment faire concilier ce sursaut avec le système républicain, étant donné qu’il faut bien à un moment donné voter pour quelqu’un ?

Ivan Rioufol : L’offre politique devra bien suivre. On assiste à la survenue d’un cinquième pouvoir : la société civile, c’est-à-dire cette société non représentée. Nous vivons une crise de la démocratie représentative. Il existe une vraie fracture entre les élites et le peuple. Vous avez cette contre-société « indignée », qui ne vote plus, ou vote pour des extrêmes. Si les hommes politiques refusent de s’adresser à eux, ils n’auront qu’une faible légitimité, car il n’y aura qu’une faible participation aux élections. Ils vont en revanche alimenter des mouvements populistes qui engendreront les mécontentements. Les hommes politiques sont contraints par leur échec collectif, dont ils sont comptables, puisqu’ils ont partagé le pouvoir pendant ces trente calamiteuses. Ils devront donc écouter ces électeurs qui leur somment de changer de politique, de regarder comment vivent les gens. Je suis assez optimiste, même si cela risque de prendre du temps. Lorsque Nicolas Sarkozy se présente en disant « aidez-moi », et en se présentant même comme étant un candidat de l’antisystème, au prétexte que la société médiatique ne l’a pas épargné, ce qui est vrai, j’observe qu’il reproduit cette démarche que je suggère dans mon livre, qui est de faire une démarche d’humilité, et de s’adresser à cette France silencieuse. Je crois que le pouvoir est trop isolé aujourd’hui pour continuer à penser qu’il a une légitimité. Le vrai pouvoir, aujourd’hui, c’est celui des indignés. Ce sont eux qui feront l’élection.

Paysan breton : Mais ce reproche que vous adressez à la classe politique ne peut-il pas être étendu à la classe médiatique elle-même ?

Ivan Rioufol : Le problème se pose en effet dans les mêmes termes, parce que c’est le même monde. C’est-à-dire que la déconnexion que vit le monde politique est celle que vit le monde médiatique. Il y a un gouffre entre ce qui est écrit et ce que vivent les gens. Je fais une critique sévère de ma profession, et je soutiens que le journaliste est devenu lui-même une idéologie. C’est-à-dire que le journaliste, qui avait pour fonction de décrire les faits, d’être témoin des faits, a failli à sa mission, pour se mettre au service de l’idéologie dominante, c’est-à-dire de ce politiquement correct qui veut que les minorités aient raison sur la majorité notamment, et qui empêche de mesurer la réaction d’une société confrontée à la mondialisation et à ses effets. Là aussi, le journalisme est obligé de se réformer, même contre son gré. L’internet est devenu le contournement le plus simple des positions monopolistiques de la presse. Il s’en dit plus sur le net que sur les journaux. Avant de regarder les éditoriaux de mes confrères, je regarde avant ce que disent les lecteurs, ce qui est souvent plus fin que ce que disent les commentateurs professionnels, qui seront forcés de descendre de leur balcon.

Paysan breton : Merci, Ivan Rioufol, d’avoir répondu à nos questions.

1er avril 2012 Jean Herbottin

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