L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.
Première partie de cette controverse : Qu’est-ce que l’Eglise ?
Deuxième partie de cette controverse : Que font les évêques ?
Troisième partie de cette controverse : Les méthodes de Civitas.
Bougainville : La communication est importante dans la mesure où il ne faut pas convaincre les catholiques, mais la société civile. Là, l’Église agit comme un acteur de cette société, elle présente des arguments rationnels à même de convaincre les pouvoirs publics et les citoyens. Outre son message, ce que je reproche à Civitas est que leur manière de communiquer est un repoussoir, porte à la caricature, prête le flanc aux attaques, et, in fine, agit en contre-témoignage. En tant que chrétiens, on doit d’abord prier, tâcher de convaincre nos concitoyens, écrire des lettres, et peut-être manifester si les évêques, des associations proches des évêques, ou des mouvements de laïcs en phase avec notre ethos nous y appellent. En tout cas, pas manifester de manière aussi bruyante que Civitas à côté d’associations politiques qui se fichent de l’Église.
Tancrède : Que dire, sinon que le principal reproche que vous faites à Civitas, en somme, c’est de rassembler en son sein une bande de jeunes romantiques enflammés plus attachés à leurs idéaux et à l’action qu’à la communication ? En effet, je pense que ce sont des gens qui sont capables d’agir avec fougue, mais au moins très sincèrement. Je pense vraiment que les conversions à la religion catholique les plus spectaculaires sont un effet de cette foi et de cette passion. Ils ont été émerveillés de voir des gens se battre, non pour des enjeux économiques ou sociaux de court terme, mais pour une idée plus sublime de la société, au-delà de ce qui va se passer à l’Assemblée. Et c’est bien ce que je dis : nous ne voulons qu’une chose, c’est plaire à Dieu. Communiquer, c’est chercher à plaire au Monde, mais agir en Chrétiens, c’est plaire à Dieu.
Bougainville : Pour amener des âmes au Christ, seul Sauveur, il faut passer par l’évangélisation. Dans un monde aussi sécularisé que le nôtre, évangéliser, c’est aussi soigner la forme. Quand je parle à mes amis qui ne sont pas croyants, Civitas est un repoussoir énorme.
Tancrède : Je ne suis pas d’accord. Je me demande si dans le monde, aujourd’hui, l’évangélisation a encore une place. Depuis Vatican II, et plus précisément depuis Assise, n’a-t-on pas renoncé à une certaine forme d’évangélisation ? N’a-t-on pas renoncé aux missions ? N’a-t-on pas renoncé justement à un certaine forme d’entrisme radical en cherchant à trop soigner la forme ? La conversion, c’est-à-dire le complet retournement, nécessite une certaine violence.
Bougainville : Il faut y arriver.
Tancrède : À mon avis, le message du Christ est édulcoré à force d’être transformé, adapté aux personnes, à leurs religions, leurs particularismes. Non, la conversion suppose une forme d’arrachement, vraiment.
Bougainville : J’entends bien. Quand je parle d’adapter la forme, je ne suggère pas de faire comme les épiscopaliens aux États-Unis en prétendant qu’il faut marier tout le monde et qui distribuent des polos « 10 bonnes raisons d’être épiscopalien : vous faites ce que vous voulez, on croit aux dinosaures etc ». Je pense à l’histoire de Michael Lonsdale, dégoûté dans sa jeunesse par la pompe et certaines simagrées, qui est revenu en vrai serviteur du Seigneur grâce aux charismatiques. Il y a différentes façons d’entrer dans l’Église sans que le message en soit changé. Le message reste radical. Mais je préférerais attirer les gens plutôt que les faire fuir, les gesticulations de Civitas en font fuir beaucoup.
Tancrède : À fond radical, forme radicale. Notre objectif commun est de sauver toutes les âmes. Quand on laisse les formes au hasard ou à la décision de chaque pasteur, si du moins ils s’en préoccupent, on risque de ne sauver que les âmes des plus intelligents d’entre nous. La forme, dans son caractère brutal, vous avez parlé de la pompe, a permis de convertir l’Afrique, les Indiens des Amériques.
Bougainville : Précisément, je n’ai rien contre la forme extraordinaire du rite, bien au contraire. J’en veux plus aux vieilles nostalgies : la messe du 21 janvier, de Franco, et de Léon Degrelle. C’est cela qui fait fuir. Beaucoup de choses sont faites aujourd’hui pour évangéliser. Je ne me reconnais pas dans le diagnostic d’une Église qui aurait faillie à sa mission, renoncer aux âmes et à l’évangélisation. Le pape, les évêques et les prêtres nous y encouragent. Toutes les vidéos sur youtube que vous devez trouver affreusement modernistes et populistes participent à un mouvement beaucoup plus global de dialogue avec le monde : « voilà ce que l’Église vous annonce. » L’accès plus généralisé aux Écritures permet aussi une plus grande diffusion du message.
Tancrède : Le message est beau, mais il est parfois trop fort pour qu’il puisse être compris par tous. Dans une société de dieux, nous serions tous à même de recevoir ce message dans sa pleine puissance. Vatican II est, à cet égard, un concile qui marcherait pour des saints. Mais un concile s’adresse aux gens qui ne sont ni purs ni au Ciel, mais pécheurs et dans le monde, où guette toujours le mal. Dans le dernier concile, on a fait confiance aveuglément à la parole, d’où la nouvelle importance de la langue vernaculaire, des lectures plus nombreuses mais difficiles, etc.
Abbé Eric Iborra : Il faut d’abord comprendre comment l’évangélisation a perdu son souffle missionnaire.
Premièrement, plus ou moins parallèlement au Concile, sans être une des ses conséquences, l’idéologie du dialogue fut enseignée dans les séminaires et les universités catholiques. Beaucoup se sont mis à douter de la pertinence du message chrétien, de sa pertinence pour le salut, puisque le salut était réduit à une perspective purement humaine de libération des oppressions politiques, sociales ou autres. La vie de l’âme passait au second plan. L’annonce du message du salut est devenu secondaire.
Ensuite, elle était minée par l’exégèse historico-critique qui remettait en doute les évidences de la foi, jusque certains articles au centre du credo sur la divinité du Christ, sur l’universalité de Sa médiation salvifique, etc. Et nous n’en sortirons, grosso modo, qu’avec l’année 2000 lorsque le pape actuel, quand il était préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, a produit le document Dominus Jesus qui réaffirme, par exemple, l’universalité de la médiation salvifique du Christ et de l’Église.
Donc, finalement, on ne voyait pas pourquoi il fallait évangéliser. L’évangélisation n’avait plus d’autre sens que d’annoncer une sorte de fraternité bon marché pour réduire les frictions sociales. C’est un premier point.
Le second point, c’est que nous ne savions plus par quelle porte entrer face au subjectivisme de l’époque moderne pour annoncer le peu que nous avions à annoncer.
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Nous en étions donc arrivés au point où nous n’avions plus rien à dire au monde et que si cela venait à nos lèvres quelque fois, il fallait le faire par le dialogue. Le dialogue est une sorte d’échange entre gens de bonne compagnie, en faisant abstraction du mal inhérent à la nature humaine et du pêché. Comme le faisait remarquer Tancrède, nous nous figurions qu’en y mettant les formes, toutes nos contradictions apparaîtraient finalement comme des malentendus malheureux, véhiculés pendant quelques siècles, mais sans réelles importances. Globalement, nous serions d’accord. C’était la thèse de Karl Rahner avec les Chrétiens anonymes : nous pensons la même chose, mais nous ne nous en étions juste pas rendus compte ! Il n’y aurait que le langage qui nous séparerait. C’est une sous-estimation du poids du péché. D’ailleurs, moi qui aimais bien le Credo du peuple de Dieu, proclamé par Paul VI, écrit par Maritain, que je trouvais bienvenu après les désordres de 1968, je me suis rendu compte d’une chose : on y parle de tout, y compris d’ontologie, sauf du diable et des démons. Nous sommes sur une pente savonnée, glissante : il y a des résistances au bien ! Le mal agit dans le monde, que ce soit dans les individus ou dans ce que le pape Jean-Paul II aura le courage d’appeler les structures sociales de péché, dans Sollicitudo rei socialis. Cet irénisme fut criminel. On sait tout de même depuis des siècles que le péché originel est à l’œuvre ! A mon avis, le prologue de Gaudium et spes, qui fait l’apologie du dialogue, est à cet égard un peu malheureux, alors que le reste de cette constitution est tout à fait remarquable.
Au moment où on agitait les flabelli autour de la tête du pape, les russes envoyaient Spoutnik en orbite : on a eu l’impression d’un fossé. Il fallait rattraper le train en marche. A ce moment, le malentendu qui existait depuis deux siècles, quand la société avait pris congé de l’Eglise, serait dissipé.
Abbé Eric Iborra : Oui, et c’est ce que l’on commence à refaire. C’est Jean-Paul II qui, en parlant de nouvelle évangélisation il y a plus de 20 ans, la remet au goût du jour. Ce sont les charismatiques, qui avec beaucoup de courage, parlent à nouveau de « grâce » et de « péché » parce qu’ils en font l’expérience dans leur réunions (rires). Il faut annoncer les choses clairement, avec une certaine courtoisie (rires), mais clairement.
Quand on voit comme saint Vincent Ferrier et saint Jean d’Avila rassemblaient les fidèles autour d’eux par des prêches qui duraient des heures ! Écoutez, c’est l’exemple même de saint Jean de Dieu, soldat un peu timbré qui, en entendant la terrible prédication de saint Jean d’Avila se convertit brutalement, se retrouve à l’hôpital psychiatrique, en sort pour soigner les autres et créer un ordre hospitalier.
Tancrède : Aujourd’hui, l’Église est en bonne entente avec le monde. Ne faudrait-elle pas qu’elle retrouve son superbe isolement du XIXe siècle, son statut d’aberration et son statut de conservatoire des antiques manières ?
Abbé Eric Iborra : En fait, il ne faut pas comprendre par « nouvelle évangélisation » une évangélisation nouvelle dans sa forme ou dans son contenu, mais une première évangélisation qui s’adresse à un peuple totalement déchristianisé, à la différence de celui du XIXe siècle. Il faut réévangéliser comme si cela n’avait jamais été fait. Les chrétiens sont trop timorés : les positions acquises n’existent plus, il n’y a donc rien à perdre !
C’est la vieille opposition entre Clément d’Alexandrie et Tertullien. Clément d’Alexandrie voyait partout des pierres d’attente du christianisme, il cherchait à cueillir les gens en leur montrant qu’ils étaient déjà implicitement chrétiens. Tertullien insistait sur la discontinuité : « Quel commerce y a-t-il entre Athènes et Jérusalem, entre l’Académie et l’Église ? ». Il faut jouer sur les deux tableaux, les deux sont vrais, puisque Dieu a créé le monde, lequel conserve les « vestiges de son image » comme dit saint Thomas, que l’homme porte son image, mais que ce monde est aussi un « monde de ténèbres ».
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