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Mercredi 29 mai 2013
(forme extraordinaire)
Mes frères,
Nous sommes ici ce soir à la cathédrale Notre-Dame de Paris, pour nous associer à un grand anniversaire de sa construction : il y a 850 ans, la première pierre de cette église était posée en présence du pape Alexandre III, du roi Louis VII, et de l’évêque de Paris, Maurice de Sully, initiateur du projet. C’était au XIIe siècle. Il a fallu 109 années pour achever cet édifice.
L’intention de l’évêque de Paris était de donner au clergé de la ville et au peuple fidèle une église-mère où tous pourraient mieux honorer le Seigneur. En même temps qu’il élevait cette nouvelle cathédrale, Maurice de Sully édifiait aussi dans Paris des églises, des abbayes, des hospices et des léproseries. Lui-même est mort après avoir distribué ses biens pour ses fondations dans le diocèse, pour l’achèvement de la cathédrale, et pour les pauvres de Paris. Ce grand évêque était né d’une pauvre famille de bûcherons des bords de Loire. Il a marqué son temps, comme l’ont fait ses successeurs, Eudes de Sully et Guillaume d’Auvergne. Son soutien à saint Thomas Becket, l’archevêque de Cantorbery affronté au roi Henri II d’Angleterre, a confirmé l’importance que prenait le siège épiscopal de Paris comme centre intellectuel de la chrétienté.
Maurice de Sully a lancé au cœur de Paris cette nouvelle cathédrale qui, bénie par le pape et parrainée par le roi, ne pouvait pas ne pas se lier à l’histoire de la nation tout entière. C’est ici que saint Louis, dans une procession solennelle, est entré pieds nus vêtu d’une simple tunique, en portant dans ses mains la couronne d’épine qu’il exposa sur l’autel à la vénération des fidèles. C’est ici que Charles VII a fait célébrer par un Te Deum la reprise de Paris, et que s’est ouvert le procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc. C’est ici qu’à la révolution tous les autels ont été détruits, le mobilier du culte, les statues, les tableaux anéantis ou dispersés, le maître autel transformé en autel de la déesse Raison en 1793, tandis que le culte catholique était interdit à Paris, et que Notre-Dame était transformée en entrepôt. Cela dura pendant neuf années. Après ce temps, la cathédrale fut rendue au culte catholique.
Et c’est ici que Napoléon Bonaparte s’est lui-même sacré empereur en présence du pape Pie VII. Malheureusement, l’état de délabrement du bâtiment était tel que les autorités publiques songèrent peu à peu à sa destruction. Mais cet édifice avait été voulu pour le peuple de Paris. Et c’est du peuple qu’est venu son salut : c’est certainement le roman de Victor Hugo Notre-Dame de Paris et son succès immense qui a créé un large mouvement populaire en faveur de la cathédrale. « Vaste symphonie en pierre – écrit Victor Hugo en 1831 - œuvre colossale d’un homme et d’un peuple, tout ensemble une et complexe... produit prodigieux... de toutes les forces d’une époque... sorte de création humaine, en un mot, puissante et féconde comme la création divine dont elle semble avoir dérobé le double caractère : variété, éternité ».
C’est ici qu’a retenti le Te Deum pour la victoire de 1945, et qu’ont été célébrées les funérailles des maréchaux célèbres et des grands hommes de la Nation. Le pape Jean-Paul II est venu deux fois visiter Notre-Dame. Le pape Benoît XVI est venu en septembre 2008. Et il y a tout ce qu’il faudrait dire encore...
Mais à Notre-Dame de Paris, tous ces grands événements dispersés dans le temps se rassemblent et se résument dans la profondeur de Dieu et dans la réflexion qu’il inspire.
Car c’est ici que le dominicain Lacordaire en 1841 prononça son discours sur la vocation divine de la France. « Nous appartenons tous à deux cités – disait-il – nous avons tous deux patries... la cité spirituelle et la cité temporelle, la patrie de la foi et la patrie du sang... Et quoique distinctes, ces deux patries ne sont pas ennemies l’une de l’autre... bien loin de là : elles sont unies comme l’âme et le corps sont unis. Et de même que l’âme aime le corps, bien que le corps se révolte souvent contre elle, de même la patrie de l’éternité aime la patrie du temps et prend soin de sa conservation, bien que celle-ci ne réponde pas constamment à son amour ». Mes frères, à cette justesse de vue ajoutons simplement que c’est l’âme qui apporte la vie et qui la donne au corps, et non l’inverse. Entre la patrie céleste et la patrie terrestre il y a donc un ordre de priorité pour ce qui est de donner la vie.
Les deux patries ne sont pas à égalité lors même qu’elles fraternisent. Sainte Thérèse de l’enfant Jésus le dit suffisamment au Christ : « Ta face est ma seule patrie ». Or pourtant, nous le savons, sainte Thérèse s’est identifiée mystiquement à sainte Jeanne d’Arc dans un même amour immense pour la France. Cela, parce que, pour paraphraser Lacordaire, il peut arriver qu’entre la patrie céleste et la patrie terrestre il se forme un dévouement réciproque, et que de la fraternité des deux naisse une sorte de patriotisme surnaturel. David et tous les prophètes, et saint Paul avec eux, ont été remplis d’élan patriotique pour Israël. Et notre Seigneur lui-même a pleuré amèrement sur Jérusalem à la pensée qu’un jour elle serait déportée. Jeanne d’Arc et Thérèse ont nourri les mêmes sentiments pour la France. Et ici à Notre-Dame de Paris, Dieu entretient en nous ce même amour.
Dans cet amour nous comprenons que ce n’est pas la patrie terrestre qui doit naturaliser la foi et peu à peu réduire Dieu à un phénomène psychologique et culturel parmi d’autres, mais que c’est la foi qui doit surnaturaliser le service de la patrie pour que cette patrie apprenne à respecter les droits de Dieu dans tous ses enfants, sous peine de s’égarer peu à peu loin de la justice et de la vérité.
Il n’appartient pas à la patrie terrestre de définir et de décider par elle-même, par voix légale, au besoin parlementaire, qui a le droit de vivre et qui ne l’a pas, qui a le droit de connaître ses origines et qui ne l’a pas. A travers la légalisation de l’avortement, et aujourd’hui la légalisation du mariage homosexuel conduisant logiquement tôt ou tard à la procréation artificielle des enfants, le législateur français construit la patrie terrestre sur le meurtre et la blessure des plus petits des siens. Mais ici, à Notre-Dame, les veillées de prière pour la vie rassemblent des fidèles de toute l’île de France, pour demander à Dieu la grâce de mener le combat pour la vie dans la persévérance, l’énergie et la dignité. C’est ici qu’on prend conscience – en ces jours où nous sommes - que l’amour surnaturel pour la France, pour ses grandeurs et pour sa liberté, veut dire très concrètement le même amour égal pour tous ses enfants, y compris les plus faibles dans leur droit à la vie et à leurs origines.
Beau combat où il faut écouter, argumenter, réfuter, promouvoir. Beau combat où il faut montrer la vraie vie conjugale et familiale, fondée sur la nature des corps, face à ses contrefaçons fondées sur les besoins de l’ego.
Lors de l’inauguration des célébrations du jubilé, le 8 décembre dernier, le cardinal archevêque de Paris rappelait que le péché originel a défiguré la relation entre Adam et Eve. Disons qu’aujourd’hui c’est bien le péché, mensonger dès l’origine, qui voudrait au nom de la loi dénaturer cette relation entre l’homme et la femme, et sa fécondité. Mais la France résiste, plus que d’autres pays. Et elle résistera encore, dans la durée, avec autant de force que d’intelligence, jusqu’au jour où les lames de fond qu’on veut faire passer pour des feux de paille la remettront debout, grandie par ses épreuves.
Dans son récent discours à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, le cardinal archevêque de Lyon relève que les autorités romaines ont été impressionnées par l’attitude des catholiques de France face aux réformes du mariage et de la filiation. Et ces autorités romaines ont remercié les évêques en visite ad limina pour leur appel à la prière, au jeûne et à la réflexion menée avec des juristes, des éducateurs, des philosophes, des psychologues et des représentants des autres religions. Et le cardinal de Lyon de voir que dans cette attitude exemplaire il y a peut-être cette France « éducatrice des peuples », comme l’a nommée le pape Jean-Paul II en 1980.
C’est que cette France est aussi la « fille aînée de l’Eglise » - même si ce titre est tardif et sans doute imputable à Lacordaire ici à Notre-Dame en 1841 seulement - « fille aînée de l’Eglise » parce qu’elle a soutenu régulièrement le Saint-Siège du XIIIe au XIXe siècle, et surtout parce qu’elle a soutenu et soutient encore l’Eglise dans le monde entier par son dynamisme missionnaire, spirituel et intellectuel. Toutes les œuvres pontificales et missionnaires sont parties de France. Et qu’a-t-il fallu d’Esprit-Saint pour qu’un jeune Théophane Vénard s’écrie à neuf ans : « Moi aussi je veux aller au Tonkin. Moi aussi je veux être martyr » ! Voilà cette France fervente et missionnaire. Mais France indissociablement priante et pensante. Dès le XIIIe siècle, elle était appelée « le four où cuit le pain intellectuel du monde entier », cette nation dont le pape Paul VI aimait à redire que « le Français exerce la magistrature de l’universel. » Si souvent, mes frères, le regard que nous portons sur notre pays et sur notre église gagne à être élargi par le regard que les autres portent sur la France. Que jamais nous ne perdions cet élan et cet appel qui nous ouvrent à l’Eglise universelle et à la vraie vie. C’est là notre vocation de français.
Nous serons fidèles à cette vocation aussi longtemps qu’aux pieds de Notre-Dame, en ce lieu le plus visité du monde, nous serons les enfants de l’épouse du Christ qui récapitule en lui tout ce qui est humain et tout ce qui est divin, tout ce qui est sur terre et tout ce qui est au ciel. Nous serons fidèles à notre vocation de français, insufflant à leurs compatriotes l’amour de la vérité, aussi longtemps que nous serons les enfants de celle qui a la Vierge Marie pour mère, l’Ecclesia Catholica. Voilà notre assurance et voilà notre avenir. Que Dieu les bénisse et qu’il fasse de nous ses témoins.
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