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« Il semblait enveloppé d’une auréole » : tel n’est pas le propos d’un nostalgique de l’Algérie française, de l’OAS ou d’un anti-gaulliste acharné. Il s’agit du témoignage d’un policier qui, le 11 mars 1963, conduisit le lieutenant colonel Jean-Marie Bastien-Thiry au peloton d’exécution.
Loin de votre serviteur l’idée de canoniser un homme, sans autre forme de discernement. Tel n’est pas mon office. Qui donc peut juger les âmes, les peser, et sonder les coeurs de ceux qui donnèrent leur vie ?
Il est bon, cependant, de méditer sur le choix tragique de Jean-Marie Bastien-Thiry qui, d’officier brillant et sans histoire, accéda au rang d’ennemi public numéro un, en tentant d’assassiner le général De Gaulle. Il est aussi temps de lui rendre Justice à la face des Français.
Qu’aurions-nous fait, à la fin de la guerre d’Algérie ? Le savons-nous ? Pouvons-nous décemment condamner l’acte d’un homme qui chercha avant tout à « faire respecter la vie, la liberté et les biens des millions de Français de souche et de Français musulmans vivant sur cette terre » ?
L’Histoire est écrite par les vainqueurs, et notre époque, gouvernée tant par les héritiers du gaullisme que par ceux des porteurs de valises du FLN, est au mieux indifférente à l’acte de Bastien Thiry, au pire méprisante, crachant à la figure de celui qui voulait servir sa Patrie et sauver du supplice ses frères d’Afrique du Nord.
Une chose est certaine : Bastien-Thiry est mort il y a 51 ans dans les fossés du Fort d’Ivry, sous les balles d’une institution qu’il désirait servir. Force est de constater que Bastien-Thiry et les partisans de l’Algérie Française avaient eu raison s’agissant du « règlement du problème algérien » : l’indépendance ainsi accordée par Paris se solderait par des mares de sang, au milieu desquelles agoniseraient les fidèles à la France, tant Européens que Musulmans.
Mais tel n’est pas le coeur de notre propos. Au-delà du sacrifice et de l’acte, sujets à polémique, penchons-nous un instant sur l’homme. Bastien-Thiry, le jour de son exécution, entendit la messe en prison, et servit lui-même. La Sainte Hostie fut rompue en deux : une moitié pour le lieutenant-colonel condamné ; l’autre pour son épouse, qui en quelques instants allait se transformer en veuve.
Ainsi que le rappelle un excellent article de Valeurs Actuelles, cette dernière Eucharistie impressionna même les incroyants, tels que Bernard Le Corroller, l’un des avocats du condamné : « Si je me convertis un jour, ce sera grâce au colonel Bastien-Thiry. Lorsqu’il a communié pour la dernière fois ici-bas, une véritable transfiguration a illuminé son visage. »
Bastien-Thiry fut-il un héros chrétien, même s’il voulait faire couler le sang le jour de l’attentat du Petit-Clamart ? Soyons certains d’au moins une chose : la foi l’animait. Une foi catholique vivante et nourrie. Quant à la doctrine catholique traditionnelle, elle ne lui manquait point.
Le jour de son procès, le lieutenant-colonel n’hésita pas à convoquer à la barre le Docteur Angélique, Saint-Thomas d’Aquin, afin d’expliquer son geste, qu’il qualifiait de tyrannicide.
Saint Thomas écrit :
« Le péché de sédition appartient d’abord et à titre de principe à ceux qui excitent la sédition. Ceux-là pèchent très gravement. Secondairement, à ceux qui les suivent, et qui troublent le bien commun. Quant à ceux qui défendent le bien commun en leur résistant, ils ne doivent pas être appelés séditieux ; pas plus que ceux qui se défendent ne sont coupables de rixes, nous l’avons dit. (...) Le régime tyrannique n’est pas juste parce qu’il n’est pas ordonné au bien commun, mais au bien privé de celui qui détient le pouvoir, comme le montre Aristote. C’est pourquoi le renversement de ce régime n’est pas une sédition ; si ce n’est peut-être dans le cas ou le régime tyrannique serait renversé d’une manière si désordonnée que le peuple qui lui est soumis éprouverait un plus grand dommage du trouble qui s’ensuivrait que du régime tyrannique. C’est davantage le tyran qui est séditieux, lui qui nourrit dans le peuple les discordes et les séditions, afin de pouvoir le dominer plus sûrement. C’est de la tyrannie, puisque c’est ordonné au bien propre du chef, en nuisant au peuple. »
Dans sa déclaration du 2 février 1963, l’officier s’expliqua :
« Nous croyons donc que les ecclésiastiques éminents qui ont été consultés, et qui n’ont pas déconseillé notre action, n’ont fait que rappeler les commandements de Dieu, le principe et le droit de légitime défense, et la morale traditionnelle enseignée par l’Eglise en la personne d’un de ses plus grands philosophes. Il n’y a guère de place ici pour des arguties théologiques. La tyrannie du général de Gaulle n’appartient pas à ce genre de tyrannie "douce" à laquelle certains Pères de l’Eglise conseillent de se résigner par esprit de patience et de mortification chrétiennes. C’est une tyrannie violente, sanglante, qui divise, qui détruit et qui est responsable de la mort d’innombrables victimes.
A notre avis, les règles morales et les règles constitutionnelles se rejoignent à propos de notre action. Saint Thomas d’Aquin n’a fait d’ailleurs, sur ce point, que transposer et sublimer sur le plan de la morale chrétienne les principes de la Cité posés par les philosophes grecs en général et par Aristote en particulier. Les principes de la Cité grecque se retrouvent dans le droit romain, dont nos principes constitutionnels sont héritiers. »
La politique gaulliste en Algérie a-t-elle nuit au peuple ? Les souffrances de nos compatriotes pieds-noirs, le martyre des harkis, sont là pour témoigner, ainsi que l’expliquait Bastien-Thiry :
« "Vous souffrirez", avait dit le chef de l’Etat aux représentants du peuple pied-noir ; beaucoup de ceux qui se sont exilés en métropole ont en effet beaucoup souffert déjà par la faute du chef de l’Etat ; mais ceux qui sont restés en Algérie n’ont rien à leur envier, bien au contraire. Ceux-là sont réduits à la condition de citoyens de second ordre et, dans le nouvel Etat indépendant, leur liberté, leurs biens et leur sécurité sont à tout moment menacés. Il y a eu, ces derniers mois, plusieurs milliers d’enlèvements et, pour les proches personnes enlevées, cette condition est parfois pire que la nouvelle d’une mort certaine, parce qu’elle permet de tout supposer. Il y a des femmes françaises enlevées qui servent de passe-temps aux nouveaux maîtres de l’Algérie, sans que, et c’est l’infamie, les responsables français fassent quoi que ce soit pour les délivrer. Il y a eu des centaines d’assassinats, des lynchages, des viols. Le pouvoir politique qui dispose encore de forces armées importantes en Algérie, n’a pas agi pour limiter ou épargner ces souffrances et ces crimes ; il est donc directement complice de ces crimes et de ces exactions fondamentalement contraires aux accords qui ont été signés. »
Sur la France, le lieutenant-colonel déclara :
« Renan disait qu’une nation est une âme, un principe spirituel. Une nation est aussi une entité, c’est un être moral qui a une existence propre et qui se compose de collectivités d’êtres humains, mus par des sentiments humains, bons ou mauvais, que l’on peut qualifier sur le plan moral. Les nations peuvent mourir et, au cours de l’Histoire, de nombreuses nations sont mortes parce qu’elles n’ont plus trouvé en elles des sentiments humains assez bons et assez forts pour assurer la survie de la nation face aux périls extérieurs, et pour dégager de leur sein les élites et les dirigeants capables de les mener, non à des abandons et à des démissions successifs, mais sur les chemins qui conduisent à conserver, au besoin par la force, leur patrimoine humain, spirituel et matériel. »
Ne jugez pas Bastien-Thiry, surtout avec le regard biaisé d’un lecteur de 2014, indifférents que nous sommes à la déchirure de la guerre d’Algérie et aux valeurs animant ces officiers rebelles. Priez pour son âme, et, animé du même idéal, cherchez toujours à servir Dieu, l’Eglise et votre Patrie.
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