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[(Recension de l’ouvrage paru aux éditions Via Romana, Histoire du citoyen
Le grand historien des Lumières a encore frappé. Après, entre autres, Les pédagogues et Les deux patries, Jean de Viguerie se penche cet automne sur un mot d’emploi trop fréquent. Hommes politiques, journalistes, responsables associatifs, artistes, tous en usent et abusent, tantôt comme substantif, tantôt comme adjectif. Sept lettres, claquant comme un étendard : « citoyen » !
La filiation du citoyen n’est pas à chercher dans les ruines majestueuses de la Ville éternelle, mais dans l’agitation des salons parisiens de la fin du XVIIIè. Le citoyen n’est alors qu’en gestation. Ses géniteurs se nomment Montesquieu, Rousseau, ou encore Mably. A leurs yeux, le citoyen est un « être nouveau », rien de moins : un individu librement associé à ses semblables, par le truchement d’un pacte social. Ce contrat transforme l’individu, devenu citoyen. Ce dernier, bénéficiaire de droits, participe à l’autorité souveraine, obéit à la volonté générale et doit porter les armes. Porter les armes ? Oui, et ce d’autant plus que les philosophes ignorent la distinction entre le citoyen et le soldat. Tous deux ne doivent faire qu’un : un citoyen digne de ce nom doit rester en alerte.
Construction philosophique, concept quasi-religieux du faux culte des Lumières, l’idée du citoyen se répand dans le public via le Catéchisme du citoyen de Joseph Saige et les pamphlets de l’abbé Sieyès : Délibérations à prendre pour les assemblées de bailliage et surtout Qu’est-ce que le Tiers Etat ?
Réunie en trois ordres le 27 juin 1789, l’Assemblée devient constituante le 9 juillet. Dans la capitale, un autre assemblée se forme : celle des électeurs de Paris. C’est elle qui dirigera la révolte du 14 juillet. Du 10 au 17 juillet, ces deux assemblées forcent l’accouchement du citoyen.
Dieu avait façonné le Monde en sept jours. Dans un laps de temps identique, les révolutionnaires façonnent leur créature, le citoyen, baptisée dans le sang des défenseurs de la Bastille. Tel Minerve sortant casquée de la cuisse de Jupiter, le citoyen naît armé. Sa lame est déjà souillée.
La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen porte au pinacle l’être nouveau. Derrière la poésie de la Déclaration, se cache une étrange dualité entre l’homme et le citoyen. Si l’homme est défini par ses droits (résistance à l’oppression, liberté de communication, etc.), le citoyen, lui, se caractérise par sa soumission. Soumis à la loi, il est tenu de concourir à la formation de celle-ci, expression de la volonté générale. Mieux : il doit lui « obéir à l’instant ». Jean de Viguerie résume : « fruit de la philosophie des Lumières et de l’imagination des constituants, il a été imaginé pour imposer à un homme très diminué, réduit à un « sous-homme » (Xavier Martin), la dictature de la loi révolutionnaire ».
Citoyen rime avec droit de cité ; ce dernier n’est pas octroyé à tous. Femmes, enfants, pauvres, en sont exclus, mais pas seulement. Dans un paradigme où la société politique se confond avec la « grande association », ignorant familles, provinces et corps intermédiaires, l’accomplissement du citoyen passe par l’épuration. Ainsi, après avoir mélangé christianisme et civisme, la Révolution épurera la religion. D’abord par la lettre – Constitution civile du clergé en 1790 – puis par le fer : les massacres de septembre 1792 n’en sont qu’une tragique illustration. Le citoyen soldat est désormais massacreur. Dans le même temps, la proclamation de la République (22 septembre 1792) fait automatiquement du citoyen un républicain. Cette jeune République n’est pas qu’un simple régime ; elle est surtout un esprit régénérateur, s’exprimant dans un contexte de peur et d’hystérie.
« Ce n’est pas tout d’avoir créé le citoyen. Il faut encore le reproduire » (J. de Viguerie, p.105). L’éducation tient là le premier rôle. Le « peuple nouveau » des citoyens ne prend forme que grâce à « l’instruction publique et l’Etat éducateur ». Aux yeux de Danton, « les enfants appartiennent à la République avant d’appartenir à leurs parents » ; pour Thibaudeau, les enfants sont « la propriété de l’Etat », leurs parents n’en étant que « les dépositaires ». On jurerait entendre nos ministres contemporains. Ils n’ont rien inventé, faisant leur la prescription de Rousseau dans l’Emile : « Sitôt qu’il naît, emparez-vous de lui, et ne le quittez plus qu’il ne soit homme ».
Arrivé à l’âge adulte, le citoyen n’est plus maintenu debout par le tuteur de l’Education, mais par l’esprit des fêtes républicaines, civiques, exaltant les « vertus sociales », dont le but est, une fois encore, de « refaire la société ».
Lors du coup d’Etat de Bonaparte, le 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799), le soldat citoyen prend le pouvoir contre l’ordre légal. Si la Constitution de l’an VIII, issue du coup d’Etat, ignore le citoyen, il ne s’agit que d’une pause. Bonaparte ne veut « pas tuer la Révolution, ni faire disparaître le citoyen » (p. 138). Dans les faits, le citoyen demeure : son obéissance sera militaire, et son glaive porté contre les puissances monarchiques de l’Europe coalisée.
Au XIXè s., le citoyen est un insurgé. En 1830, il renverse la monarchie de la Restauration. En février 1848, « il combat pour l’avènement d’une République démocratique et sociale » ; en juin de la même année, il occupe le Palais-Bourbon. En 1871, sur les décombres d’une France humiliée par la défaite de Sedan, le citoyen armé, le « Communard », érige des barricades. Le mur des fédérés sera son tombeau ; ironie du sort, c’est sur son cadavre que naîtra la IIIè République. Les temps changent. Le successeur de Mac Mahon à la présidence de la République est Jules Grévy ; dès lors, l’on passe, au rythme des campagnes électorales et des banquets républicains, du soldat citoyen au citoyen électeur. Ce citoyen est toujours un être nouveau, nourri d’une mystique républicaine, et son esprit est forgé par la haine anticléricale, qui culmine en 1905. Le « vrai citoyen » ne peut être chrétien. Problème : avec le Ralliement, l’Eglise montre qu’elle n’a pas saisi la véritable essence de l’ « être nouveau », en dépit des avertissements de Mgr Freppel, évêque d’Angers.
Pour les catholiques comme pour les autres français, le terrain est prêt pour tremper dans le sang leur titre de citoyen. L’ombre de la Grande Guerre se profile à l’horizon : la nation armée revit, le citoyen soldat renaît, l’officier est nécessairement républicain, les réfractaires sont fichés (Affaire des fiches). La Grande Guerre a vu périr plus d’un million de Français : l’ « être nouveau » en est naturellement affaibli. Les années 30 et la Seconde Guerre le plongent dans un demi sommeil. L’Epuration le réveille : on distingue les « bons citoyens » des mauvais. Quatre fois sur cinq, le « bon citoyen » patenté est un faux résistant, mais qu’importe !
Le citoyen achève sa mue avec les guerres d’Indochine et d’Algérie. C’en est fini du citoyen armé car, à cette époque, le soldat est un salaud. Le vrai citoyen, c’est le rebelle du Viet Minh ou l’égorgeur du FLN. Tandis que l’Armée française est systématiquement mise en accusation par la presse d’opinion et par l’Etat, le rebelle, lui, est justifié.
Mai 68, « simulacre de Révolution », marque la rupture. L’image du citoyen était devenue poussiéreuse : il faut l’actualiser. Le concept doit être toiletté, soit !
Citoyen devient un adjectif qualificatif. On connaissait le « roi citoyen » sous Louis Philippe. Place aux « marches citoyennes » et aux « discours citoyens », surtout lorsqu’ils promeuvent la diversité, nouveau leitmotiv du « peuple nouveau », sans cesse en mouvement. Progrès ineffables de la civilisation occidentale : on peut également « consommer citoyen » ou « rouler citoyen ».
Depuis lors, l’esprit « citoyen » a tout contaminé : de la gauche à l’UMP. L’ouvrage de Jean de Viguerie s’achève sur les premières années du quinquennat de François Hollande. Depuis 2012, plus que jamais, tout est citoyen. Plus que jamais, la réfection perpétuelle de l’être nouveau s’opère par le truchement de l’école. L’écolier de 1793 avait la religion de la patrie ; celui de 2012 a celle de la diversité. La différence s’arrête ici ; pour le reste, le parallèle est frappant : l’idéologie prospère, les familles et corps traditionnels reculent.
M. Peillon avait raison en proclamant, d’un air docte : « La Révolution n’est pas terminée ». Actualisé, le citoyen est, hélas, encore vivant, et toujours aussi artificiel.
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