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« Le propre de la langue révolutionnaire est d’employer des mots connus, mais toujours en sens inverse [1] »
Jean François de la Harpe
L’observateur attentif de l’Histoire des idées politiques l’aura remarqué : la guerre est avant tout culturelle. Ce conflit exige des munitions : les mots.
Or, pour vaincre, les thuriféraires du Progrès et de la régénération de l’homme – en somme, les révolutionnaires – ont eu pour leitmotiv l’utilisation de mots forts, dont ils renversent le sens pour mieux manipuler les masses.
La citation du philosophe voltairien La Harpe est éloquente. D’un simple point de vue sémantique, les révolutionnaires n’ont rien inventé. Leur œuvre principale fut de distiller la confusion dans l’esprit de nos compatriotes, et de leur faire prendre des vessies pour des lanternes.
Dans son ouvrage consacré à la Révolution française, Philippe Pichot-Bravard explique ainsi : « Afin de gagner à elle les esprits, l’idéologie détourne à son profit le sens des mots, ce qui rend délicate la lecture des textes révolutionnaires. Liberté, peuple, patrie, tyrannie, aristocratie, fanatisme : tous ces mots n’ont pas dans la bouche de ceux qui les prononcent le sens que leur donnent les révolutionnaires [2] ».
Cette vaste entreprise de falsification sémantique est centrale dans la politique révolutionnaire. Ou peut-être faut-il parler de métapolitique ? Les ennemis de la Royauté et de l’Eglise ont, dès cette époque, compris qu’un discours vaut bien cent baïonnettes.
Si les Bleus ont gagné, c’est évidemment en raison du verrouillage de l’appareil d’Etat et de leur force militaire, mais pas seulement.
A cette époque déjà, l’opinion n’est pas à prendre à la légère. Il convient de l’avoir avec soi, en usant du mensonge s’il le faut. Ainsi, les esprits du Peuple – nous reviendrons plus tard à ce mot lourd de sens – seront gangrenés.
La République naissante, en 1792, a besoin de bras pour la défendre aux frontières et contre les ennemis de l’intérieur, Vendéens, Chouans ou Lyonnais. On agite alors, tels des hôchets, les mots formidables de Patrie ou de Liberté. Peu importe qu’ils soient vidés de leur sens initial : leur puissance est égale, et impressionne toujours l’honnête homme.
Chers lecteurs, lequel d’entre vous resterait insensible à l’évocation de ces mots ? N’aimez-vous pas votre Patrie ? Ne chérissez-vous pas la Liberté ? La Convention envoie ainsi se battre la fine fleur de la jeunesse de France, au nom d’idéaux dévoyés, détournés, souillés.
La manipulation des mots fonctionne également en sens inverse. Si l’on utilise volontiers des termes à connotion positive afin de magnifier ses propres idées abjectes, la diabolisation de l’adversaire n’est pas négligée, bien au contraire.
En déclarant à la face du monde leur amour du Peuple et de la Liberté, les révolutionnaires déclarent une guerre à mort aux ennemis du Peuple et aux ennemis de la Liberté. Face aux vertueux Patriotes (comprendre : les Bleus), se dressent les Brigands (les Vendéens, notamment). Toute la logique rousseauiste se déploie dans cette dychotomie grossière mais diablement efficace.
En vertu de l’idéologie contractualiste héritée de Rousseau, il existe un pacte sacré qu’il faut défendre à tout prix.
Pour les conventionnels et leurs kapos, ce pacte n’est autre que la République. Les clauses du contrat : l’acceptation totale des acquis révolutionnaires. Les cocontractants : tous les Français. Quiconque refuse ces clauses ou se permet d’en douter est de facto exclu du Contrat et se voit nier ses qualités de citoyen, de Français, mais aussi les égards dus à l’humanité, comme l’a admirablement montré le Pr. Xavier Martin [3] : les Vendéens en ont fait les frais. Le conventionnel Bertrand Barère, orateur tonitruant et enragé, n’hésita pas à les qualifier de « race rebelle de brigands », qu’il fallait « exterminer ». « La Vendée », poursuit-il, « Encore la Vendée, toujours la Vendée ! La Vendée, voilà le chancre qui dévore le cœur de la République ! ».
Derrière la lame du hussard des Colonnes infernales, se cache la plume de l’idéologue.
Ce procédé connut une postérité remarquable et fit florès.
Les Bolchéviques ne se sont pas privés d’utiliser le terme de « koulak » pour désigner les Russes récalcitrants à l’élan révolutionnaire et mortifère de 1917. Le parallèle avec la Révolution française est loin d’être anecdotique : les révolutionnaires russes allèrent jusqu’à baptiser du nom de Vendée les foyers de réaction, et dans les plans des Bolchéviques, la Volga est affublée d’un étrange nom de code : la Loire, ce fleuve français que la folie jacobine avait transformée en baignoire nationale, ultime tombeau des prêtres réfractaires et des paysans poitevins.
Notre époque n’est pas en reste. Il n’est de jour où le camp du Progrès – là encore, le sens du mot est détourné – affuble la droite, ou ce qu’il en reste, des plus infâmes sobriquets.
Le défenseur de la Famille traditionnelle ? Homophobe ! Le promoteur de l’identité française et de la souveraineté ? Xénophobe ! L’homme de droite ? Nauséabond ! Qu’il s’agisse de masquer les défaillances et les échecs du système, ou de diaboliser l’opposant politique, les nouveaux maîtres du verbe militant sont peu avares de cette Novlangue que Jean-Yves Le Gallou scrute à la loupe dans son dernier ouvrage, Nouveau dictionnaire de la Novlangue [4], un travail analogue à celui de Philippe de Villiers qui, en 1993, publia un Dictionnaire du politiquement correct à la française [5].
Pour que tombe le masque, il s’agit de revenir à la racine des mots, d’identifier les manœuvres sémantiques et de les faire éclater à la face des Français.
Patrie, Peuple, Liberté… Autant de mots à redécouvrir, dont il convient de faire éclore la réalité afin de vaincre l’idéologie.
[1] Du fanatisme dans la langue révolutionnaire ou du fanatisme, Jean-François de la Harpe (1797)
[2] in La Révolution française, Philippe Pichot-Bravard, Via Romana, janvier 2014. Ouvrage recensé ici
[3] Sur les droits de l’homme et la Vendée, Xavier Martin, éditions Dominique Martin, 1995
[4] Nouveau dictionnaire de la Novlangue, collectif, Polémia, 2013
[5] Dictionnaire du politiquement correct à la française, Philippe de Villiers, Albin Michel, 1993
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