L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.
Le Parisien, le Monde, et le Figaro semblent penser que nous instigâmes ce mouvement :
Nous vous proposons la lecture de deux témoignages :
67 anti-mariage pour tous en garde à vue après... par lemondefr
Interpellés à 0h50, avec Ambrogio Riva, Louis Jaeger et Carl Moy-Ruifey, alors que nous manifestions pacifiquement et silencieusement, malgré la présence d’I-Télé et du sénateur Yves Pozzo di Borgo voici ce que nous avons vécu.
Nous avons attendu plus de trois heures dehors, devant le commissariat, sans savoir ce qu’il allait advenir. Nous sommes fouillés et certains de nos objets sont confisqués, dans le style propre aux gendarmes mobiles : nos couvertures de grand-mère sont enregistrés sous le nom « couvertures de type militaire ». Nous nous attendions alors à un simple contrôle d’identité. C’est en entrant dans le commissariat que nous apprenons qu’il ne s’agit pas de simples vérifications de routine. C’est la garde à vue. Selon les gendarmes mobiles et les policiers, « les ordres viennent d’en haut ». Ils sont les premiers à être surpris du traitement qui nous est infligés : ils préféreraient s’occuper des vrais délinquants.
Nous sommes parqués en cellule. Les 24 filles qui nous accompagnent sont dans une seule cellule, coincées au milieu de manifestantes malades, choquées, effrayées. Au milieu du vomi et des pleurs, elles tiennent debout. Les hommes ne se démoralisent pas non plus, et continuent à chanter toute la nuit, accompagnés des sourires complices de nos geôliers. D’autres improvisent des réunions politiques très secrètes au vu des caméras de la prison.
Toutefois, certaines choses nous rappellent que nous sommes en prison : nous n’avons pas l’heure, pas de communication avec l’extérieur ; nous sommes privés de notre liberté d’aller et venir, d’un bon lit, de nicotine et de bonne chère ; nous devons nous rendre au cabinet sous la surveillance d’une demoiselle par ailleurs très accommodante ; et surtout, ne savons pas quand nous pourrons enfin sortir. C’est dur.
Les policiers, très embêtés de nous infliger cela, alors même qu’ils partagent tous nos opinions et qu’ils savent que nous sommes ce peuple reconnaissant de leur service, nous autorisent à sortir de nos cellules et à déambuler dans le commissariat sans menotte [2] C’est bien peu.
A 17h10, je fais partie des 10 premiers manifestants à recouvrer la liberté. Un comité d’accueil, rassemblé par la Manif’ Pour Tous et le Printemps Français, nous acclame. Nous tenons à les remercier dans cet article : ce fut un véritable baume au cœur.
00h30. Le campement est folklorique, bon enfant. Les gendarmes mobiles arrivent en masse et nous encerclent rapidement.
Le sénateur Yves Pozzo di Borgo, arborant une écharpe tricolore, vient nous soutenir. Mais une autre personne, inconnue et habillée en civil, s’approche depuis les lignes des gendarmes mobiles, portant aussi une écharpe tricolore. Grâce à son mégaphone il demande plus tard aux campeurs de se disperser. La confusion règne et les gendarmes forment alors un cercle plus restreint puis nous arrachent, nous qui sommes soudés les uns aux autres par les bras et les jambes.
Une fois le panier à salade rapidement rempli, les gendarmes délogent les derniers récalcitrants et nous partons.
1h00. Le commissariat se dessine : un grand préau et des grillages de barbelés. Les campeurs et les campeuses sont triés par les longues et compactes rangées de gendarmes et de policiers. Après plusieurs heures d’attentes, nous rentrons un par un dans le commissariat. Entre temps, des membres des forces de l’ordre nous parlent dans une atmosphère détendue. Ils ne comprennent pas.
D’une part, personne ici ne semble connaître les lieux car des unités de différents commissariats de Paris ont été affectées à la tâche, beaucoup de monde pour quelques 67 campeurs. D’autre part, nous discutons avec eux et certains nous expriment leur mécontentement. Pour l’un d’entre eux, c’est une image qui lui rappelle des moments sombres de l’histoire de la police française, pour d’autres, il s’agit d’une vaste opération politique : « nous n’aurions jamais réservé un tel traitement pour les LGBT ni mis en garde à vue pour si peu, alors que les manifestants d’extrême gauche le mériteraient dix fois plus, compte tenu de leur comportement. Mais les ordres viennent d’en haut ». Le mot est lâché, « garde à vue ». La stupeur s’installe. Nous pensions êtres soumis à un simple contrôle d’identité. Les rares bureaux qui gèrent cela sont débordés et les agents stupéfaits.
3h15. J’arrive enfin devant un agent de la police judiciaire pour signer les papiers qui engagent ma garde à vue. Je suis envoyé dans une salle surveillée avec d’autres puis nous sommes fouillés minutieusement : portables, bijoux, ceintures, lacets de chaussures … tout est saisi. Pendant cette procédure, l’agent me confie son désarroi : « Quelque chose ne tourne pas rond dans ce pays ; vous êtes là pour quoi ? mariage homo ? C’est dégueulasse, je suis désolé de vous faire cela. Tout va bien se passer, ne t’inquiète pas ». Je comprends alors l’ambiance : des agents appelées spécialement pour nous surveiller et nous encadrer, un vaste dispositif qui dépasse largement les quatre fonctionnaires de la police des transports qui tient ordinairement le commissariat où nous nous trouvons.
3h45. Je n’ai plus de montre, plus de notion du temps désormais et j’entre dans une cellule à l’atmosphère moite, poisseuse, putride. Une salle avec de simples bancs collés aux murs, de 20 mètres carré environ et dans laquelle sont parquées 21 personnes. La cellule des filles en accueille 24 avec des traces et odeur de vomis en guise d’avant-goût des longues heures d’attentes dans ces salles humides et où règne une chaleur étouffante. Les autres salles regroupent 14 (lesquels n’ont pas assez de place pour tenir tous assis) et 7 personnes respectivement. La respiration et la condensation dans un espace si restreint rend rapidement l’air irrespirable.
Nous comprenons que nous allons passer de longues heures ici mais le courage ne faiblit pas. Nous entamons alors le répertoire des chants paillards, traditionnels et militaires : « la strasbourgeoise », « Fanchon », « la Madelon » (car nous avions vraiment très soif), « les Partisans blancs » et « le Kyrie des Gueux » qui nous donnent du baume au cœur.
Au contact des agents de police, nous constatons leur étonnement : « vous n’êtes pas vraiment notre clientèle habituelle », « c’est rare d’entendre ces chants depuis les cellules, c’est pas mal ! ». Il faut dire que le bâtiment entier résonne de ces paroles françaises, aussi bien depuis la cellule des femmes que de celles des hommes.
Je fais connaissance avec mes camarades de cellules. Il n’y a là que des horizons différents, des motivations diverses mais une vraie inquiétude : la garde à vue s’annonce difficile mais nous nous serrons les coudes, littéralement, car nous n’avons la choix de mon côté. Je ne peux que me tenir assis pendant près de 6 heures et d’autres dorment à même le sol, jonché de cheveux, de poussière, de saletés et agrémentés d’une forte odeur d’urine. Un agent nous informe qu’une autre cellule est occupée par les agresseurs au couteau de Samuel Lafont mais aussi une personne interpellée pour agression sexuelle. Nous sommes bien entourés.
Vers 10h. Après une nuit et une matinée dans ces cellules lugubres et insupportables où il n’a pas été possible de dormir, un supérieur fait ouvrir toutes les portes et nous permet de nous asseoir dans le couloir aéré : nous respirons enfin. Un médecin est venu visiter la cellule où sont entassées les vingt-quatre femmes. Il a aussitôt ordonné leur évacuation, tant l’air était irrespirable et les conditions de détention scandaleuses. Fort heureusement, le même régime nous est appliqué.
Ce même agent nous apporte des plats pour le déjeuner pendant lequel le directeur en képi d’officier de police passe entre les jambes des « délinquants » en faisant quelques réflexions quant à notre « traitement de faveur » et dans une ambiance glaciale.
La compréhension des agents de police et leur proximité avec nous permettent de patienter plus facilement. Durant les auditions des campeurs devant des agents de police judiciaire, nous continuons à tenter de dormir quelques minutes sur le sol.
Vers 17h. Nous commençons à partir puis nous retrouvons enfin l’air libre et la lumière du soleil, ainsi que de nombreux soutiens qui nous applaudissent. Les caméras et les journalistes sautent sur nous : « à quel groupe appartenez vous ? » « quel est votre nom ? », « vous étiez tous catholiques non ? ». Nous avons retrouvé le monde extérieur, un autre calvaire.
Addedum 16 avril, 17h35 :
[1] ... et non les 14 !
[2] Et pourtant, je leur avais demandé avec force et conviction des menottes dans l’idée d’écrire un article intitulé : « Bago ligoté, passé à tabac et menotté par la police de Valls ». Ils ont refusé sous l’inique prétexte que les menottes, « ça faisait mal » ! Plus sérieusement, merci encore à la police nationale pour sa dignité aujourd’hui.
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